
Dernière incursion dans la thématique des Vies Sans Ecole, un témoignage tout simplement bluffant.
Probablement le meilleur ambassadeur de l’IEF dans les médias. Jamais scolarisé, Taig Khris est un véritable auto-entrepreneur de son destin.
Il a d’abord été champion du monde de roller puis entrepreneur autodidacte, co-producteur de télévision, présentateur, vainqueur de Pékin-Express, cascadeur de cinéma, initiateur de records hors-norme… Dans chacune de ses aventures, il s’est lancé avec confiance et curiosité. Un parcours hors-norme, hors-cadre. Une histoire est d’autant plus exemplaire qu’elle démontre comment l’absence de formatage scolaire ou universitaire peut permettre de s’inventer une trajectoire unique… sans pour autant que cela soit facile. Il est rare d’avoir des témoignages d’adultes non-scolarisé ce qui rend sa parole d’autant plus précieuse
Taig Khris avait 5 ans en 1980 quand il est arrivé en France. Ses parents quittaient l’Algérie en pleine montée de l’intégrisme. Son père algérien et sa mère grecque devaient s’inventer une nouvelle vie avec leurs deux enfants. Artistes, ils ont dû faire des compromis pour trouver leur place dans ce nouveau pays, synonyme pour eux de liberté. « En arrivant, mon père a commencé à travailler comme éducateur de prévention auprès des jeunes dans les cités difficiles et ma mère, elle, faisait de la sculpture tout en s’occupant de nous. Mon enfance a été extraordinairement différente de la majorité des gens.»
Comme bien d’autres avant eux, les parents de Taig Khris avaient été bouleversés par la lecture du livre « Libres enfants de Summer Hill ». Convaincus que la liberté de penser, de grandir était le meilleur passeport pour l’avenir, ils ont fait le choix de ne jamais envoyer leurs fils à l’école.
« A cette époque-là, il n’y avait pas d’internet, pas d’ordinateur, pas de smartphone… Mais nous avions malgré tout une vraie vie sociale. Car mon frère et moi, nous avions découvert qu’énormément de jeunes se retrouvaient au Trocadéro chaque jour après l’école pour faire du roller. Nous nous sommes joints à eux et naturellement nous nous sommes mis au roller. Nous faisions des chasses à l’hommes, des éperviers, toutes sortes de jeux mais toujours en roller. C’était une ambiance fantastique avec des enfants et des adolescents de tous les milieux. Certains venaient du très chic XVIème arrondissement, d’autres des banlieues plus difficiles. Nous, nous étions un peu entre les deux puisque nous vivions alors dans le 11ème. Nous n’étions pas riches mais avec le salaire de mon père, qui devait être de l’ordre de 10 000 francs à l’époque, nous vivions tout à fait correctement. »
Très tôt, Taïg se rend compte que sa famille n’est vraiment pas comme les autres. Ses parents ont certes des revenus modestes mais n’en ressentent aucune frustration. Pour eux, la richesse, la vraie, vient des relations humaines. « Aujourd’hui, la société prône la réussite financière car notre monde est devenu bien trop capitaliste. Mais à l’époque, nous ne ressentions pas cette obligation d’avoir absolument une voiture ou des vêtements de marque. Mes parents avaient pour héros les Brel, les Brassens, les Aznavour. C’était avant tout une richesse de connaissances, de culture. Vivre sa vie comme on l’entendait et être heureux avec ce que l’on avait, était leur seul objectif. »
Même sans argent, ses parents s’autorisent néanmoins des rêves XXL avec un sens évident de la débrouille, n’hésitant jamais d’embarquer leurs enfants aux quatre coins du monde
« Ils nous montraient une mappemonde et ils nous demandaient de montrer où nous aurions envie d’aller. C’est ainsi que nous avons traversé l’Atlantique en voilier, fait de la pirogue en Amazonie, nous avons campé aux quatre coins du monde.
A Paris, les quatre membres de la famille vivent dans 45m2. Mais les garçons sont cependant auotrisés à inviter leurs copains à dormir aussi souvent qu’ils le souhaitent. Les parents veillant à ne jamais brimer ni les envies ni les rêves de leurs enfants, aussi insolites soient ils
« Ainsi quand j’ai dit à mes parents que je rêvais d’avoir un singe, ils m’ont entendu. Et j’ai eu pendant 8 ans à Paris un petit saïmiri en liberté. Nous allions au cinéma avec le singe, nous prenions l’avion avec lui. Dans notre quotidien, tout était inhabituel. Comme en marge. »
Taïg et son frère perçoivent bien le décalage avec les familles des copains où les discours anxiogènes liés à l’avenir prédominent..« Nous, nous avons eu la chance de grandir en marge de ces inquiétudes car nos parents nous ont éduqués sans jamais avoir la moindre peur du lendemain Le plus important était de faire les choses avec passion car c’est grâce à cette passion que nous serions heureux. Ils nous ont toujours dit qu’il n’y avait pas de sot métier. Que l’on soit chauffeur de bus ou star à Hollywood, le plus important est de toujours faire ce que l’on aime… »
A chaque fois, que Taïg ou son frère se sont retrouvés à la croisée des chemins, à chaque décision importante qu’ils ont du prendre, leur parents leur ont fait entièrement confiance. Taïg et Reda sont libres et considérés à égalité avec les adultes. Convaincus que les enfants devaient apprendre par eux mêmes, les parents ne donnaient des conseils que si on leur demandait.
« Evidemment si j’étais au fond du gouffre, dans une situation difficile, ils étaient là pour m’aider. Mais à bien y regarder, je n’étais jamais dans la théorie, toujours dans la pratique. Aujourd’hui j’ai compris avec les années combien dans le monde où nous vivons aujourd’hui il est mille fois plus important d’être fort dans la pratique que dans la théorie.
Avant on étudiait des années pour être médecin et on était médecin toute sa vie. Aujourd’hui, les jeunes savent qu’ils vont devoir exercer deux ou trois métiers différents au cours de leur existence. Le monde change à une telle vitesse que plus on est débrouillard, plus on s’en sort. Et de toutes les façons si on apprend les choses de manière scolaire, le temps que l’on arrive dans la vie active, le monde a déjà changé. »
Tout au long de son enfance, Taïg va explorer de nombreuses disciplines, plus variées les unes que les autres. A chaque fois, il est libre d’y consacrer tout le temps qu’il souhaite aussi bien de nuit comme de jour.
« Pendant mon enfance, j’ai fait du tennis pendant des années à coup de six heures par jour pour devenir professionnel. Puis après, je suis devenu professionnel de magie, je faisais même des spectacles. J’ai aussi fait du piano, du dessin. Souvent, nous passions six mois ou un an voire deux à faire une activité non-stop et puis l’envie s’estompait et nous passions à autre chose. Nos parents acceptaient à partir du moment où c’était notre choix assumé. Ils nous soutenaient et nous encourageaient pour l’activité suivante. Quel meilleur démarrage dans la vie pour un enfant que de n’avoir aucune pression de la part de ses parents ? Leur positivité nous portait. Et ils nous permettaient de penser hors cadre en nous disant inlassablement : « tout est possible. Faites les choses à fond. Nous vous soutiendrons. »
D’un point de vue pédagogique, les parents ont enseigné le strict nécessaire : lire, écrire et compter. De temps à autres, ils abordaient l’Histoire et de Géographie. Bien souvent le soir, ils initiaient une dictée mais cela n’allait pas tellement plus loin.
« Avec le recul, je pense qu’ils auraient dû pousser un peu plus là-dessus. Car nous n’avons pas étudié tant que cela et j’ai quand même eu des lacunes. Par exemple, je fais des fautes d’orthographes. Cela ne m’a jamais vraiment bloqué mais je préférerais ne pas en faire. Je regrette aussi de ne pas avoir appris de langue étrangère depuis mon plus jeune âge. En entrant dans la vie active, j’ai appris l’Anglais, l’Italien l’Espagnol, le Grec et aujourd’hui je commence le Russe. Mais si j’avais parlé Anglais depuis l’enfance, je n’aurais plus d’accent français. En ayant fait de la télé ou du cinéma, je sais que, par exemple, je ne pourrai jamais prétendre à jouer un Américain. C’est un des aspects que je gérerai différemment avec mes propres enfants. Je leur donnerai l’opportunité de s’initier aux langues étrangères le plus tôt possible. »
Taïg aurait aussi aimé que ses parents le poussent un peu plus à lire. Il aurait pu se forger une culture plus solide. Sans que cela soit conscient, son vocabulaire aurait été plus riche. «Quand je suis entré dans la vie active, je n’étais pas très adroit dans la tournure de mes phrases. J’ai réussi à m’adapter… mais cela n’a pas été si simple au départ.
En même temps, je dois reconnaitre que j’avais beaucoup d’avantages par rapport aux autres jeunes de mon âge, ne serait-ce que la capacité d’apprendre vite. »
Puis vient le temps de la découverte du roller au Trocadéro, une activité incroyablement ludique. Mais peu à peu, le jeu se transforme en défi entre copains. Ils s’amusent alors à fabriquer des tremplins pour réaliser des acrobaties. Et ces acrobaties vont attirer l’œil des touristes. Et ce sera l’occasion de collecter quelques pièces pour aller acheter des gourmandises à la boulangerie du coin.
« A cette époque-là, je n’imaginais pas une seconde que le roller pouvait devenir un métier…Puis un jour avec mes parents, j’ai découvert une rampe, le Half pipe, sous une aire d’autoroute et cela a été une révélation. Une véritable passion. J’ai passé mes jours et mes nuits sur cette rampe.
Et dès que j’ai su qu’il y avait des compétitions, je m’y suis inscrit. Au début, c’était très amateur mais finalement assez vite j’ai commencé à faire de bons résultats. Mais même si j’étais doué à cette époque-là il n’y avait aucune perspective, le roller était encore trop confidentiel. »
En grandissant alors que ses parents traversaient une passe très difficile, Taïg se résout à abandonner la discipline. Ceux ci avaient ouvert un restaurant mais plus généreux que carriéristes, ils perdaient beaucoup d’argent. Et au fil du temps, la banqueroute semblait inéluctable
« Je suis allé travailler avec eux pour les aider mais aussi les soutenir. Je faisais le service le midi avec mon frère en roller. Nous faisions les plats, les crêpes à l’extérieur et je faisais les petits tours de magie aux clients à la fin pour le dessert. A partir de 18 ans, le roller n’était plus qu’un moyen de locomotion pour moi. »
Une vie difficile qui allait durer deux ans. Jusqu’à ce que le destin en décide autrement. Nous sommes alors en 1995 et les rollers en ligne deviennent une mode mondiale. Taïg Khris entend dire que certains jeunes arrivent à en vivre. Le rêve serait-il à portée de main ? Quand il évoque le sujet avec ses parents qui, bien que dubitatifs, encouragent leur fils.
« J’ai eu l’opportunité de participer à une compétition à Bercy et j’ai terminé cinquième. Le soir après la finale, Rollerblade me proposait un contrat avec un salaire de 3400 Deutsche Mark par mois. Cela représentait plus que ce que gagnaient mes deux parents réunis. Et la semaine suivante, je partais en tournée à travers le monde entier. »
Reda a eu, de son côté, une trajectoire tout aussi étonnante . Il a d’abord été acteur de cinéma avec quelques premiers rôles à la clé. Il s’est aussi découvert une passion pour la capoeira, discipline qu’il a pratiqué à un très haut niveau et qui lui a permis de faire tournée avec une compagnie de danse dans le monde entier. Il a aussi excellé en tant qu’apnéiste, allant jusqu’à décrocher le titre de champion en Grèce. Puis, Reda est devenu une figure incontournable du poker international.
« Quand j’ai monté ma boîte, je l’ai convaincu de venir travailler avec moi. Je préférais qu’il mette à profit ses talents et son intelligence dans ma société plutôt qu’autour d’une table de poker. »
Grâce au roller, Taïg a pu, pour sa part, éponger les 200 000 euros de dettes de ses parents. Mais il restait conscient que le roller était une mode et risquait d’être éphémère
« Mon père s’est dit qu’il fallait qu’il m’aide à sécuriser mon avenir en créant des business. Il a eu l’idée d’ouvrir un magasin de roller et d’utiliser ainsi mon image de champion. Cela n’a pas été une réussite. J’ai donc réfléchi à ce que je pourrais faire par moi-même. »
Taïg décide ensuite de conseiller les mairies dans la conception de Skate Park. Se formant au logiciel de dessin AutoCAD il apprend à réaliser lui-même les plans afin de mieux superviser les conceptions. Le concept de Skate Park Taïg Khris était né. L’entreprise prend de l’ampleur jusqu’à un accident qui l’immobilise pendant une année.
« Sur mon lit d’hôpital, j’avais la pression car je devais aider ma famille. J’ai réfléchi à comment exploiter ma notoriété de champion du monde de roller. Et j’ai eu l’idée d’apposer mon image sur des agendas pour les jeunes enfants.Devant le refus de Clairefontaine, j’ai pris la décision d’appeler directement Carrefour et j’ai réussi à décrocher un rendez-vous avec le responsable du rayon papeterie… »
Celui-ci amusé d’avoir un champion du monde en direct au téléphone lui propose de venir dans trois semaines lui présenter sa collection. En raccrochant, Taïg est partagé entre l’enthousiasme du rendez-vous et une certaine fébrilité car la dite collection n’existe pas….encore. Mais il en fallait bien plus pour le décourager.
« J’ai passé quelques coups de fil aux copains pour qu’ils m’expliquent Photoshop et la nuit j’ai appris par moi-même à faire du design sur Photoshop et j’ai fabriqué moi-même mes propres prototypes. Pour cela, je suis allé acheter toute une gamme de papeterie chez Carrefour et une imprimante A3. J’ai imprimé mes créations et je les ai collées parfaitement afin de donner l’illusion que j’avais mes propres produits. »
Le rendez-vous est un succès L’acheteur passe commande pour 350 000 euros de produits, sans retour d’invendus. Taïg Khris se lance dans la fabrication tout en réfléchissant au coup d’après. Car si le produit ne marchait pas, il n’y aurait pas de nouvelle commande.
« J’ai alors eu l’idée de contacter l’agent de Tony Parker. Je ne connaissais pas Tony Parker personnellement mais j’ai réussi à le convaincre de me donner son image en exclusivité pour ma gamme de papeterie. Je faisais moi-même mes designs la nuit sur Photoshop, la journée j’alternais entre rééducation et mes rendez-vous. Tout en reprenant petit à petit les compétitions. Et puis, la troisième année, je suis arrivée avec de beaux contrats comme Matt Pokara, Christophe Mae et MTV. Nous avons dépassé le million d’euros de vente de produits. Malheureusement quand la boîte a grandi, je n’ai pas su la gérer. En partie, parce que j’avais repris mes compétitions en parallèle. Mais aussi parce qu’il y a eu la crise de 2008 et j’ai enregistré une chute de 60%. J’ai fini par mettre la clé sous la porte. »
L’échec est douloureux mais le bilan positif car Taïg a beaucoup appris : il avait su créer une société, concevoir une marque et gérer la vente. Il a continué sa carrière de champion de roller, tout en explorant de nouvelles idées de business à chaque fois qu’il se retrouvait sur un lit d’hôpital.
« J’ai par exemple lancé une boisson énergétique bien avant l’arrivée de Red Bull. L’idée ne venait pas de moi et j’étais associé. J’avais réussi à faire référencer la boisson chez Casino mais dès que l’argent a commencé à rentrer, il y a eu la guerre entre les associés. J’ai arrêté le projet alors qu’il fonctionnait. Ce qui à ce à ce moment-là, m’a permis de comprendre que si je devais créer ma boite il me fallait les pleins pouvoirs. Pour éviter les complications. »
En même temps, Taïg réfléchit à faire progresser sa notoriété afin de pouvoir capitaliser son image. Il réussit à co-produire des émissions de télévision et à décrocher des contrats d’animateur comme « L’émission des records » sur France 3. « Toutes ces activités, c’était un vrai melting pot mental. J’étais frustré et complexé de ne pas avoir autant opportunités qu’un tennisman ou footballeur. Pour eux, les contrats viennent directement sans avoir à lever le petit doigt. Moi, j’étais obligé d’être pro-actif. Je faisais moi-même mes relations publiques, je lisais moi-même les contrats, je faisais moi-même sur Photoshop mes books de présentation. Je me rendais compte que si je ne me prenais pas en main, je n’irais pas très loin. Pour décrocher plus d’interviews, j’ai commencé à travailler sur ma manière de m’exprimer et plus je m’améliorais plus les propositions des producteurs de télévision étaient intéressantes. C’était l’effet boule de neige. Chaque fois que je rencontrais un journaliste ou quelqu’un dans le business je veillais à bien garder ses coordonnées. Ainsi non seulement, j’augmentais mon réseau mais surtout je l’entretenais. »
Peu à peu, Taïg devient un entrepreneur par la force des choses avec toujours en tête l’objectif d’aider sa famille. Chaque nouvelle expérience est l’occasion de grandir, d’évoluer psychologiquement et mentalement. Pour lui, il n’y a jamais d’échec, seulement des opportunités d’apprendre. Loin du formatage scolaire et universitaire, il apprend de manière intuitive.
« J’avais tant à apprendre, j’étais comme une éponge. J’essayais de comprendre, d’analyser tous les métiers des gens que je rencontrais. J’avais besoin d’accumuler le plus de connaissances possibles pour savoir dans quelle direction aller. Résultat, j’ai aujourd’hui des amis dans des milieux totalement différents et dans tous les contextes milieux ? sociaux »
A 35 ans, Taïg a l’idée d’organiser des records spectaculaires pour décupler son aura médiatique. Il imagine un record du monde du saut en roller dans le vide… Et pour entrer dans l’histoire, il imagine de réaliser ce record en se jetant de la Tour Eiffel
Il lui faudra pas moins deux ans de travail acharné pour organiser l’évènement qui est une première mondiale, et qui bénéficiera d’une diffusion en direct à la télévision..
L’année suivante, il se lance dans le record du monde du saut en longueur et pour l’occasion il choisit le Sacré Coeur. En haut de la butte de Montmartre, le cadre est spectaculaire. Les images font le tour du monde.
En terme médiatique, c’est évidemment un succès. Professionnellement et financièrement, c’est une autre histoire. Trop lourd, trop cher, trop chronophage. Le champion y laisse des plumes et consacre son temps à réaliser des cascades pour des films d’action. Et sur une très grosse production américaine, qu’il va une nouvelle fois se casser la jambe. Retour à la case hôpital longue durée
« J’ai alors commencé à faire le bilan de ma vie. J’approchais la quarantaine, je m’étais séparé de ma copine. Je n’avais pas spécialement d’argent de côté. J’étais en charge de ma famille. Mes expériences business s’étaient toutes arrêtées. J’avais signé un long-métrage où j’avais le premier rôle mais qui était finalement tombé à l’eau à la dernière minute. Et j’avais écrit un long-métrage moi-même que j’avais essayé de monter à Hollywood sans succès… Je m’étais rendu compte que même avec un super scénario et en étant acteur, on se retrouvait totalement lié aux états d’âmes des studios et du réalisateur. J’en avais assez d’être toujours dépendant du bon vouloir des autres. Que ce soit pour monter un film ou organiser un record. C’est à ce moment-là, que je comprends qu’il faut que je change de vie et que je sorte de mon univers de sport extrême. J’avais réussi jusque-là à sortir tirer mon épingle du jeu en étant pro-actif, plus smart que la moyenne…mais cela avait atteint ses limites. »
S’il quittait le monde du sport extrême, dans quel domaine pouvait-il concentrer ses efforts ? Il se savait travailleur, inventif, intuitif…
« En faisant le bilan de tout ce que j’avais appris, j’ai écrit une sorte de formule magique en huit points. Une formule magique qui allait être la clé de ma nouvelle vie.
Premier point : Je devais choisir la plus grande industrie au monde. Les télécoms ne souffraient pas de la criseg, et cela ne s’arrêtera sûrement pas demain, cela semblait être la bonne industrie.
Deuxième point : J’avais compris qu’il fallait arriver à « uberiser » cette industrie; Les nouveaux géants ne sont pas ceux qui sont propriétaires du matériel, des murs.
Uber est le plus grand réseau de taxis au monde alors qu’il n’est pas propriétaire de taxis. Airbnb est le plus grand réseau d’hôtels au monde sans être propriétaire des murs. Amazon est le plus grand fournisseur de produits au monde sans en fabriquer. Les nouveaux géants ne sont pas ceux qui détiennent mais ceux qui sont l’intermédiaire.
Troisième point : l’utilisateur est roi. Si tu fais quelque chose qui améliore le quotidien, qui est plus simple, les gens vont l’adopter.
Quatrième point : il fallait que je fabrique le même produit dans tous les pays. Quand je faisais les gammes de papeterie, Tony Parker se vendait bien en France mais pas forcément en Australie. Et si je voulais vendre aussi en Chine il fallait que je trouve un Tony Parker chinois, cela compliquait les choses.
Cinquième point : il fallait que je sois propriétaire de ma marque. Quand j’ai perdu l’image de Tony Parker, j’ai eu un trou dans mon chiffre d’affaire. J’avais compris que si je décidais de faire un produit mondial, il fallait que j’en sois propriétaire pour ne pas être tributaire d’évènements extérieurs.
Sixième point : il fallait choisir une industrie où il y avait une distribution mondiale immédiate. Une application a, par exemple, l’avantage d’être instantanément disponible dans le monde entier en un clic. Je me suis rendu compte que le distributeur est le grand gagnant. Une anecdote le prouve bien, au départ Nike était un distributeur de la marque Asics et un jour Asics a rompu le contrat pour distribuer par eux-mêmes. Le distributeur a été malin, il a dit puisque j’ai le réseau de distribution je vais faire mes propres baskets. Nike était né… on connaît la suite…
Septième point : il fallait un produit digital. Quand j’avais mon magasin de roller, je me rendais compte que j’étais très limité car il était impossible de vendre des millions de patins la nuit parce que le magasin était fermé. Si tu veux en vendre plus, il te faut plus de locaux, plus de salariés alors qu’un produit digital, à trois heures du matin un dimanche cela ne change rien que tu vendes 1, 1000 ou 3 millions les coûts sont les mêmes.
Huitième et dernier point : il fallait clairement inventer quelque chose d’entièrement et totalement nouveau. Car cette industrie ne m’attendait pas.
Une fois ces leçons de vie récapitulées, analysées, condensées… Il fallait juste que Taïg trouve la bonne idée qui n’existait pas… encore.
« Je suis partie de mon expérience d’utilisateur et réfléchissant au fait qu’aujourd’hui, on a tout dans le cloud. Nos films avec Netflix, notre musique avec Spotify, notre adresse email, nos photos etc… et pourtant notre 06 est bloqué dans une carte SIM physique. J’ai commencé à rêver… Pourquoi le numéro ne pourrait-il pas être décorrélé de la SIM et dématérialisé comme une adresse email ? Cela permettrait d’avoir des numéros étrangers. Cela permettrait aussi quand on n’a plus de batterie d’utiliser le portable d’un copain pour récupérer nos sms et nos messages. Et puis, en cas de vol, on pourrait récupérer tous les contacts en une fraction de seconde, Les avantages étaient nombreux… cela simplifierait tellement la vie »
L’idée semblait excellente mais encore fallait-il qu’elle soit techniquement et légalement possible. Comment en être sûr ? Dans un premier temps, Taïg a dû identifier le corps de métier qui pourrait répondre à ses questions. « J’ai compris au bout d’un moment qu’il fallait un chef architecte Telecom…Celui que j’ai trouvé m’a annoncé un tarif de 1 500 euros par jour pour travailler sur mon idée… Cela représentait une grosse partie de mes économies mais c’était une étape obligatoire. »
Le verdict tombe. Oui c’était faisable techniquement et légalement. Cela n’existait pas encore mais il y avait une certaine contrainte… Le seul moyen de le faire c’était de créer un opérateur Telecom mobile mondial. « Et là, je crois que beaucoup auraient lâché… Mais moi non et c’est grâce à mes parents… Ils m’ont toujours appris à me focaliser sur les choses positives. Je n’ai donc retenu que le fait que c’était possible et que cela n’existait pas encore.… »
Taïg trouve finalement un opérateur qui accepte de sous louer son accès au réseau, le temps qu’il puisse créer le sien. Une location qui a un prix : 150 000 euros au départ et 10 000 à 20 000 euros chaque mois. « Moi, à ce moment-là, je suis convaincu que cela va marcher. Je me suis donc enfermé chez moi pendant des mois. J’ai fait un dossier de cent pages à présenter au fonds d’investissements qui était accompagné d’un business plan et d’un proto du produit (des mockup de design). L’idée était tellement géniale que je n’avais aucun doute sur le fait qu’ils allaient me donner des millions pour la réaliser. Les fonds d’investissements ont accepté de me recevoir parce que j’étais le mec qui avait sauté de la tour Eiffel. Ils ont alors réalisé que je n’étais pas là pour parler de sport-extrême mais pour leur demander de l’argent afin de créer un opérateur Telecom mondial. Qu’en plus de cela, je n’avais pas d’argent et que je n’avais pas de diplôme, que je n’avais pas non plus d’équipe d’ingénieur… Ils m’ont pris pour un malade et ils ont refusé. »
A la sortie de ce rendez-vous, Taïg reçoit un appel de son chirurgien qui lui fait la morale car il ne vient plus à ses rendez-vous de rééducation. « Je lui explique alors à quoi je me suis consacré. Il me répond « Cette idée est géniale, je veux investir ». C’est alors une évidence… Si les fonds d’investissements ne veulent pas financer, il faut trouver l’argent autrement. Taïg part dans un marathon et arrive à convaincre toutes sortes de personnes de son entourage, la sœur de son chirurgien, son avocat, son comptable, ses copains riders, mes amis sportifs…
« Au final, trente personnes me donnent un million d’euros en prenant un peu moins de 20% de l’entreprise qui n’était pas encore créée. Je suis parti ensuite m’installer en Estonie car là-bas les ingénieurs sont moins chers. Et je me suis retrouvé patron d’ingénieurs sans rien y connaitre. Je devais les manager alors que je n’avais aucune compréhension de la partie mobile ou serveur. Il y a eu des mois et des mois d’apprentissage où ils étaient mes profs. Je pensais être à l’aise avec un million d’euros mais assez vite je me suis rendu compte qu’il en fallait 15 fois plus. Si j’avais su le vrai montant, personne n’aurait investi. »
Chaque mois, Taïg doit trouver des fonds pour payer les salaires. Mais il n’en démord pas, cela va marcher… « Au final, à force de travail, j’ai tenu pendant quatre ans en trouvant près de dix millions d’euros auprès de cent-trente investisseurs privés. Et comme ma société a grandi, les fonds d’investissement ont finalement accepté d’investir dix millions d’euros, à savoir dix fois plus que ce que je leur avais demandé la première fois. Aujourd’hui ma société est rentable. Nous ne perdons plus d’argent. Mon chiffre d’affaire dépasse les huit chiffres annuel et pour le moment il double chaque année.

Nous sommes une équipe de soixante collaborateurs et si tout va bien nous allons doubler, tripler et peut-être même quadrupler dans les années à venir. Je suis devenu expert Telecom et j’ai inventé quelques brevets qui ont fait évoluer la régulation télécom.
J’ai eu la chance d’être élu au board de France Digitale parmi les dix représentants qui représentent la tech en France et en Europe… »
Et probablement, le seul à ne jamais être allé à l’école.