Isabelle Filliozat : « Le problème des enseignants, c’est qu’ils enseignent »

Isabelle Filliozat, psychothérapeute, travaille depuis des années autour de l’importance des émotions dans l’évolution et l’épanouissement de chacun.

Elle a écrit des livres essentiels comme « L’intelligence du cœur »,« Au Cœur des émotions de l’enfant » et « Il n’y a pas de parent parfait ».

Son point de vue sur l’école et l’enseignement est passionnant. Il nous invite à découvrir une troisième voie qui ne serait ni l’école telle que nous la connaissons aujourd’hui, ni forcément l’IEF mais un territoire où l’on aurait accès aux deux et qui permettrait aux enfants de redécouvrir le bonheur de la curiosité libérée, de l’empathie et de l’autonomie joyeuse.

Quel est votre perception de l’école à la maison ? 

L’école à la maison est quelque chose que j’aurais aimé faire avec mes enfants mais à l’époque c’était moins accessible.

Soyons précis, je préfère que nous parlions d’instruction en famille. 

En effet, ce n’est pas forcément à la maison que cela se passe et ce n’est pas forcément l’école non plus. 

L’IEF c’est la possibilité de permettre aux enfants d’apprendre en suivant au plus près leurs besoins et leur rythme biologique tout en suivant aussi le processus naturel de l’apprentissage.

Chaque famille devrait avoir la possibilité de l’expérimenter ne serait-ce que durant un an.

C’est aussi une occasion absolument fantastique de passer du temps avec les enfants. Les moments partagés avec ses enfants sont toujours trop courts. Le temps des enfants passe toujours trop vite. 

Déjà avec la commission des mille jours,(1) nous avions fait cette recommandation que la première année soit passée avec les parents. Mais ce serait formidable de faire bénéficier chaque famille d’un temps avec les enfants à un autre moment. 

(1) La commission des 1000 jours est un rapport de 18 experts, présidée par le neuropsychiatre Boris Cyrulnik. Elle regroupe des experts de spécialités différentes avec une conviction commune : l’importance décisive des 1000 premiers jours de l’enfant. Ils et elles sont neuropsychiatres, spécialistes de l’éducation ou de l’éveil des enfants, acteurs de terrain de l’accompagnement social des parents, pédiatres et praticiens hospitaliers, sage-femme.

Quelle image avez-vous de l’école classique ?

L’école telle qu’elle est aujourd’hui correspond aux besoins de certains enfants mais pas à tous. Telle qu’elle est construite aujourd’hui, elle est source de violences diverses. La quantité de problèmes de harcèlement montre que la dynamique sociale de l’école n’est pas forcément une dynamique très saine.

 Notre mission en tant qu’adulte est d’équiper nos enfants pour qu’ils soient le plus à l’aise possible dans la vie. Pour cela, nous devons aider à former leurs compétences à apprendre, « savoir apprendre » à apprendre le mieux possible.

Nous devons les initier à toute la dimension de la socialisation et de l’intégration dans la société. Or on croit que l’école est une bonne façon de socialiser les enfants mais nous sommes obligés de constater que l’école aujourd’hui dé-socialise les enfants. Les enfants qui sont instruits en famille sont souvent bien plus sociables que les enfants qui vont à l’école. Parce qu’à l’école, la socialisation est finalement bizarre, étant donné que l’on a choisi de la faire par tranche d’âge. Non seulement ce n’est pas naturel mais cela engendre  beaucoup de violence.

Quelles sont les autres faiblesses de l’école traditionnelle ?

Dans la plupart des écoles, les enseignants veulent enseigner. Le problème c’est que c’est souvent contraire aux apprentissages. Parce que lorsque l’enseignant enseigne, le cerveau de l’enfant se met en passivité or pour apprendre on a besoin d’être actif. 

Plus on suit son propre rythme et les mécanismes de notre cerveau et plus nous allons apprendre facilement. 

C’est bien de temps en temps de  faire des cours magistraux mais le problème de nos écoles d’aujourd’hui c’est que ces cours magistraux représentent 90 % du temps. Les enfants français sont les enfants en Europe à qui on demande d’être assis le plus longtemps. 

Dans tous les autres pays, les enfants se lèvent beaucoup plus tôt que chez nous. Ils ne sont pas en rang d’oignons comme en France. Dans le film allemand « La Vague » (2) c’est assez spectaculaire. 

Dans ce film l’enseignant veut faire toucher du doigt à ses élèves ce qu’est un état fasciste. Il décide donc de transformer sa classe en état totalitaire. Il souhaite leur faire vivre l’expérience plutôt que de leur faire un cours. Pour commencer celle-ci, il transforme la classe. Au début, les tables sont installées en carré et les élèves assis par groupe ainsi ils peuvent se regarder les uns les autres.  Le professeur commence par faire disparaitre les bouteilles d’eau et la nourriture. Il met ensuite  les tables les unes derrières les autres comme en France. Et puis il leur demande d’arrêter de le tutoyer pour le vouvoyer. Et là, cela me fait sourire car je vois une classe française. 

Un des gros problèmes de l’école actuelle c’est que les enseignants s’adressent à des enfants qui ne regardent que l’enseignant au lieu de se regarder les uns les autres.

Il y a dans les autres pays du monde, des méthodes qui fonctionnent mieux où les élèves apprennent par groupe ensemble. Et puis ils bougent. se lèvent, se rassoient.  Ils ont des projets. En France c’est massivement l’enseignant qui est au centre, sur une estrade à faire son cours. 

De nos jours, souvent les enfants ne l’écoutent plus. Cela devient alors la jungle. Non pas parce que les professeurs n’ont plus d’autorité mais simplement parce que les écrans sont partout. Les capacités cognitives des élèves baissent à cause des écrans, mais aussi à cause de la consommation de nourriture de mauvaise qualité qui perturbe le cerveau. Et enfin aussi à cause des nombreux perturbateurs endocriniens qui perturbent la signature thyroïdienne et altèrent l’humeur et le QI.

Par ailleurs, ils sont assis 99% du temps et inlassablement on leur demande de s’asseoir et de se taire, alors que l’on sait aujourd’hui combien le manque d’activité est dommageable  pour la santé. En restant assis on diminue par deux l’oxygénation dans les jambes et par conséquent dans le cerveau.

Finalement avec notre système, nous mettons en place tout ce qui est le plus compliqué pour réussir à apprendre.

Autre chose qui est gravissime,  c’est le rythme que nous imposons aux adolescents avec un début de journée entre 8 et 9 heures du matin.

Cela n’est absolument pas respectueux de leur rythme. Car après 12 ans, un adolescent voit son horloge biologique se désynchroniser et prendre deux heures de retard. 

Il ne peut pas se coucher avant dix ou onze heures du soir et ne devrait pas avoir à se lever avant 9 heures du matin. 

Il est évident que quand il l’adolescent est en cours à huit heures, il perd ses dernières heures de sommeil qui sont si essentielles. En conséquence, il va avoir un déficit de sommeil phénoménal car il n’arrivera pas pour autant à se coucher plus tôt. Un tiers des enfants sont du matin, pour eux il n’y aura pas dommages mais pour les autres les premières heures de cours sont le pire moment pour avoir une activité intellectuelle. Cela ne va pas poser de problème mais pour les autres c’est le pire moment pour réfléchir. 

L’avantage de l’école à la maison c’est que l’on peut suivre le rythme naturel de l’enfant.
L’école à la maison permet elle de suivre le rythme naturel de l’enfant.

(2)La Vague (Die Welle) est un film allemand  de 2008 réalisé par Dennis Gansel. Il est librement inspiré de « La Troisième Vague », une étude expérimentale d’un régime autocratique, menée par le professeur d’histoire Ron Jones avec des élèves de première de l’école Cubberley à Palo Alto (Californie) pendant la première semaine d’avril1967. (source Wikipedia)

Est-ce que toutes les familles peuvent faire l’école à la maison ?

Cela parait difficile pour les familles monoparentales. Il est difficile d’être seul. Etre seul pour mener un tel mode de vie me parait quasi impossible. Heureusement, il y a heureusement de plus en plus d’associations qui permettent aux parents de s’entraider, de partager des découvertes pédagogiques, de se retrouver avec les enfants. 

Le mieux serait d’avoir un fonctionnement mixte. Dans une situation idéale, je verrai une pratique de l’instruction en famille de façon coordonnée avec une école. On Les familles pourraient être relié à une école et de temps en temps participer à des spectacles, à des projets, comme pouvoir participer à par exemple que l’enfant soit intégré dans l’effectif dans le cadre des grands concours. Il y a de nombreux aspects positifs de l’école. Que les enfants en instruction en famille puissent participer à certains projets de classe serait formidable. 

Si nous arrivions à être moins rigide et avoir des frontières plus poreuses ce serait superbe. Pourquoi ne pas être moins rigide dans notre manière de penser l’Éducation nationale ? Pourquoi ne pas proposer des frontières plus poreuses entre les modes éducatifs ? 

A l’école, les enfants sont devenus très dépendants de leur enseignant dans leurs apprentissages. Si pendant le confinement, les parents ont tant souffert c’est parce qu’ils ont voulu faire l’école à proprement parler et ils ont été confrontés à cette dépendance.

Quand on fait l’instruction en famille on rend les enfants autonomes dans leur apprentissage donc ils n’ont pas besoin de notre aide en permanence. L’instruction en famille permet  aux enfants d’apprendre différemment, en sortant de la maison, en allant à la rencontre des autres…

On a l’impression que l’école à la maison est plus dans la coopération alors que l’école classique est plus dans la compétition. 

Tout à fait. L’idéal serait que tout le monde rentre dans la coopération. Même si la compétition a des aspects positifs. Dans toute la France, des classes font de grandes compétitions de Mathématiques, quel beau projet, que d’émulation pour ce groupe d’élèves ! Avec toute la classe, c’est formidable. Ce qui est nocif c’est la compétition individuelle ont montré des études. Chacun se retrouve en compétition contre tous les autres. L’élève ne se bat pas « pour » gagner avec les autres vers le même but mais « pour gagner contre », pour être meilleur que son semblable. Les garçons qui ont besoin d’émulation aiment beaucoup la compétition. Une compétition en groupe est positive. elle crée une histoire unificatrice pour le groupe les groupes. C’est un des atouts de l’école 

En quoi les enfants instruits en famille sont différents ? 

Je ne suis pas sociologue mais j’ai remarqué que ce qui est différent c’est qu’ ils ont une autonomie de travail que n’ont pas les autres. Ils ont aussi un niveau de responsabilité bien plus élevé.ILs sont souvent plus conscients de l’impact de leurs actes et de leur comportement. A condition que l’instruction en famille ne se soit pas conçue comme celle de l’école. Le problème c’est qu’ à l’école il y a le cours mais aussi tout l’espace de sanction et de punition. Les enfants qui sont punis, perdent leur capacité de responsabilisation. Alors qu’un enfant qui a été éduqué sans punition et qui a été plus libre de choisir son l’organisation du de son temps, se connait mieux. Il est à même de savoir ce dont il est capable et ce dont il a besoin. Il sait a les capacités de suivre un projet du début à la fin. Il va être très impliqué dans l’élaboration d’un projet tout en sachant utiliser faire appel à tel ou tel adulte ou tel et tel autre enfant

Est-ce que les enfants qui font l’IEF sont soumis aux diktats de la mode ? 

Ils n’ont pas la même influence sociale. Ils ne sont soumis à aucun diktat d’influence sociale puisqu’il n’y a pas de nécessité de s’intégrer dans un groupe social. 

A l’école, les enfants  sont laissés à eux même, les adultes ne gèrent pas les groupes. Les adultes ne participent pas à la fluidité dans les groupes et à l’autonomisation de chacun. Il y a un gros problème car les enfants ont la crainte craignent de ne pas être acceptés par le groupe. Et l’influence  des autres a un impact phénoménal. 

Non seulement ils vont chercher à être dans les codes de la mode mais ils vont être aussi influencés dans les choix musicaux. Ils vont aussi pouvoir se laisser faire sexuellement. Ils ne vont pas forcément savoir dire non. 

Ils vont par exemple regarder des films pornographiques. Non pas parce qu’ils le désirent mais par soumission, tout simplement pour pouvoir être accepté. Si l’enjeu c’est soit je montre ma culotte, soit je suis rejetée, je vais faire ce qu’il faut pour ne pas être rejetée. C’est un des gros inconvénients de l’école aujourd’hui.Les enfants non scolarisés n’ont eux pas à en passer par là les mêmes problématiques. 

De quoi un  enfant a besoin pour s’épanouir et apprendre correctement ? 

Il a d’abord besoin d’un attachement solide, une relation avec un adulte qui l’aime afin de se sentir en sécurité de manière globale. 

Il est fondamental de respecter son rythme biologique : dormir et se coucher à l’heure qui lui convient, chacun ayant un rythme qui lui est propre. Ne jamais être reveillé avec un réveil le matin. 

Pour avoir un cerveau en bon état de fonctionnement, il est recommandé de boire beaucoup d’eau. La santé étant dans notre assiette, il me parait important de privilégier les omégas 3 et les bonnes vitamines.

Pour apprendre correctement, un enfant a besoin d’être intéressé par un projet d’apprentissage, de comprendre pourquoi nous le faisons. Nous apprenons beaucoup mieux lorsque nous relions ce que nous souhaitons mémoriser à un projet. Nous nous rendons compte nous les adultes que dans notre métier, nous avons une mémoire phénoménale mais pas forcément en dehors de celui-ci  Tout simplement parce que nous savons concrètement comment nous allons utiliser l’information.

 A l’école très souvent les enfants apprennent pour pouvoir réussir le jour de l’interrogation et puis après ils oublient. Parce que le projet s’arrête une fois le jour de l’interrogation. Les enfants qui sont instruits en famille ont une mémoire bien plus profonde et les notions sont plus ancrées.

 C’est typiquement français, on remarque que les français peuvent avoir de bons résultats en mathématique mais il suffit que l’on change un tout petit peu la manière de poser les problèmes et ils sont perdus car on leur a appris à répondre en fonction de certains codes, sans comprendre en profondeur. Et c’est souvent différent à l’étranger. 

Est-ce que cela n’est pas problématique que les parents aient le rôle de parents et d’enseignants ? 

Les parents ne doivent pas jouer les enseignants. Ils permettent à leurs enfants d’apprendre mais ce ne sont pas des enseignants. Ce qui est formidable c’est que s’ils le souhaitent, pour creuser une notion, les enfants puissent se tourner vers toutes sortes de gens qui sont spécialistes dans différents domaines. A titre personnel, je ne militerai non pas pour l’instruction en famille ou l’école mais bel et bien pour un mélange des deux.

J’ai vu dans un lycée professionnel, des enfants qui faisaient leur projet et apprenaient seuls en autonomie mais et quand ils  en éprouvaient le besoin ils se tournaient vers l’enseignant. Etre enseignant c’est un vrai métier mais malheureusement 90% d’entre eux sont formés dans pour transmettre le contenu pour lequel ils ont choisi de se spécialiser  mais ils n’ont aucune formation en pédagogie. 

Qu’est-ce que vous pensez de cette décision d’Emmanuel Macron d’interdire l’école à la maison ? 

Si réellement il est confirmé que l’IEF est interdit , ce serait extrêmement dommage. Je pense que l’IEF peut être d’une telle richesse. Je ne comprends pas le lien que  le Président  fait avec l’islamisme. Je pense qu’il  a été mal informé. Il ne sait pas qui fait l’IEF et lui-même n’ayant pas d’enfant il n’a pas été exposé à cette dimension là.

 Je ne vois pas le lien entre l’islamisme et l’école. Tous les terroristes sont allés à l’école et ils ont subi du harcèlement, de l’exclusion, de l’échec scolaire et donc ils n’ont pas été en dehors de l’école de la république. L’école de la République n’a pas réussi à les intégrer. 

Certains ont connu l’Aide Sociale à l’Enfance et ont subi des rejets multiples et variés et il n’y a pas eu de continuité d’attachements qui leur permette de se sentir en sécurité et intégrés.

 La véritable lutte contre l’islamisme, c’est d’accompagner la naissance, la première année de vie et vérifier qu’aucun enfant n’ait à subir des ruptures affectives trop graves et que s’il y a rupture il puisse être accompagné et soutenu. Nous avons à faire un travail important pour éradiquer le harcèlement scolaire. Cela me parait beaucoup plus urgent. L’instruction en famille est au contraire un des outils pour lutter contre l’échec scolaire.

Il y a des enfants aujourd’hui qui sont déscolarisés  parce qu’ils ont pris l’école en grippe, ils ont pris toute forme d’ apprentissage en dégoût, et c’est dommage.

Il faut accompagner les familles très tôt pour diminuer les violences conjugales, enrayer la violence contre les enfants faire baisser la pauvreté, agir sur tous ces facteurs aggravants qui sont en première ligne avant l’école.  C’est ce qui me semble le plus important.

https://www.filliozat.net/biographie/

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