Taig Khris «  Nous avons été éduqués sans jamais avoir la moindre peur du lendemain » 

Dernière incursion dans la thématique des Vies Sans Ecole, un témoignage tout simplement bluffant.

Probablement le meilleur ambassadeur de l’IEF dans les médias. Jamais scolarisé, Taig Khris est un véritable auto-entrepreneur de son destin.

Il a d’abord été champion du monde de roller puis entrepreneur autodidacte, co-producteur de télévision, présentateur, vainqueur de Pékin-Express, cascadeur de cinéma, initiateur de records hors-norme… Dans chacune de ses aventures, il s’est lancé avec confiance et curiosité. Un parcours hors-norme, hors-cadre. Une histoire est d’autant plus exemplaire qu’elle démontre comment l’absence de formatage scolaire ou universitaire peut permettre de s’inventer une trajectoire unique… sans pour autant que cela soit facile. Il est rare d’avoir des témoignages d’adultes non-scolarisé ce qui rend sa parole d’autant plus précieuse

Taig Khris avait 5 ans en 1980 quand il est arrivé en France. Ses parents quittaient l’Algérie en pleine montée de l’intégrisme. Son père algérien et sa mère grecque devaient s’inventer une nouvelle vie avec leurs deux enfants. Artistes, ils ont dû faire des compromis pour trouver leur place dans ce nouveau pays, synonyme pour eux de liberté. « En arrivant, mon père a commencé à travailler comme éducateur de prévention auprès des jeunes dans les cités difficiles et ma mère, elle, faisait de la sculpture tout en s’occupant de nous. Mon enfance a été extraordinairement différente de la majorité des gens.»

Comme bien d’autres avant eux, les parents de Taig Khris avaient été bouleversés par la lecture du livre « Libres enfants de Summer Hill ». Convaincus que la liberté de penser, de grandir était le meilleur passeport pour l’avenir, ils ont fait le choix de ne jamais envoyer leurs fils à l’école.

« A cette époque-là, il n’y avait pas d’internet, pas d’ordinateur, pas de smartphone… Mais nous avions malgré tout une vraie vie sociale. Car mon frère et moi, nous avions découvert qu’énormément de jeunes se retrouvaient au Trocadéro chaque jour après l’école pour faire du roller. Nous nous sommes joints à eux et naturellement nous nous sommes mis au roller. Nous faisions des chasses à l’hommes, des éperviers, toutes sortes de jeux mais toujours en roller. C’était une ambiance fantastique avec des enfants et des adolescents de tous les milieux. Certains venaient du très chic XVIème arrondissement, d’autres des banlieues plus difficiles. Nous, nous étions un peu entre les deux puisque nous vivions alors dans le 11ème. Nous n’étions pas riches mais avec le salaire de mon père, qui devait être de l’ordre de 10 000 francs à l’époque, nous vivions tout à fait correctement. »

Très tôt, Taïg se rend compte que sa famille n’est vraiment pas comme les autres. Ses parents ont certes des revenus modestes mais n’en ressentent aucune frustration. Pour eux, la richesse, la vraie, vient des relations humaines. « Aujourd’hui, la société prône la réussite financière car notre monde est devenu bien trop capitaliste. Mais à l’époque, nous ne ressentions pas cette obligation d’avoir absolument une voiture ou des vêtements de marque. Mes parents avaient pour héros les Brel, les Brassens, les Aznavour. C’était avant tout une richesse de connaissances, de culture. Vivre sa vie comme on l’entendait et être heureux avec ce que l’on avait, était leur seul objectif. »

Même sans  argent, ses parents s’autorisent néanmoins des rêves XXL avec un sens évident de la débrouille, n’hésitant jamais d’embarquer leurs enfants aux quatre coins du monde

« Ils nous montraient une mappemonde et ils nous demandaient de montrer où nous aurions envie d’aller. C’est ainsi que nous avons traversé l’Atlantique en voilier, fait de la pirogue en Amazonie, nous avons campé aux quatre coins du monde. 

A Paris,  les quatre membres de la famille vivent dans 45m2.  Mais les garçons sont cependant auotrisés à inviter leurs copains à dormir aussi souvent qu’ils le souhaitent. Les parents veillant à ne jamais brimer  ni les envies ni les rêves de leurs enfants, aussi insolites soient ils

« Ainsi quand j’ai dit à mes parents que je rêvais d’avoir un singe, ils m’ont entendu. Et j’ai eu pendant 8 ans à Paris un petit saïmiri en liberté. Nous allions au cinéma avec le singe, nous prenions l’avion avec lui. Dans notre quotidien, tout était inhabituel. Comme en marge. »

Taïg et son frère perçoivent bien le décalage avec les familles des copains où les discours anxiogènes  liés à l’avenir prédominent..« Nous, nous avons eu la chance de grandir en marge de ces inquiétudes car nos parents nous ont éduqués sans jamais avoir la moindre peur du lendemain Le plus important était de faire les choses avec passion car c’est grâce à cette passion que nous serions heureux. Ils nous ont toujours dit qu’il n’y avait pas de sot métier. Que l’on soit chauffeur de bus ou star à Hollywood, le plus important est de toujours faire ce que l’on aime… »

A chaque fois, que Taïg ou son frère se sont retrouvés  à la croisée des chemins, à chaque décision importante qu’ils ont du prendre, leur parents leur ont fait entièrement confiance. Taïg et Reda sont libres et considérés à égalité avec les adultes. Convaincus que les enfants devaient apprendre par eux mêmes, les parents ne donnaient des conseils que si on leur demandait.

« Evidemment si j’étais au fond du gouffre, dans une situation difficile, ils étaient là pour m’aider. Mais à bien y regarder, je n’étais jamais dans la théorie, toujours dans la pratique. Aujourd’hui j’ai compris avec les années combien dans le monde où nous vivons aujourd’hui il est mille fois plus important d’être fort dans la pratique que dans la théorie. 

Avant on étudiait des années pour être médecin et on était médecin toute sa vie. Aujourd’hui, les jeunes savent qu’ils vont devoir exercer deux ou trois métiers différents au cours de leur existence. Le monde change à une telle vitesse que plus on est débrouillard, plus on s’en sort. Et de toutes les façons si on apprend les choses de manière scolaire, le temps que l’on arrive dans la vie active, le monde a déjà changé. »

Tout au long de son enfance, Taïg va explorer de nombreuses disciplines, plus variées les unes que les autres. A chaque fois, il est libre d’y consacrer tout le temps qu’il souhaite aussi bien de nuit comme de jour.

« Pendant mon enfance, j’ai fait du tennis pendant des années à coup de six heures par jour pour devenir professionnel. Puis après, je suis devenu professionnel de magie, je faisais même des spectacles. J’ai aussi fait du piano, du dessin. Souvent, nous passions six mois ou un an voire deux à faire une activité non-stop et puis l’envie s’estompait et nous passions à autre chose. Nos parents acceptaient à partir du moment où c’était notre choix assumé. Ils nous soutenaient et nous encourageaient pour l’activité suivante. Quel meilleur démarrage dans la vie pour un enfant que de n’avoir aucune pression de la part de ses parents ?  Leur positivité nous portait. Et ils nous permettaient de penser hors cadre en nous disant inlassablement : « tout est possible. Faites les choses à fond. Nous vous soutiendrons. »

D’un point de vue pédagogique, les parents ont enseigné le strict nécessaire : lire, écrire et compter. De temps à autres, ils abordaient l’Histoire et de Géographie. Bien souvent le soir, ils initiaient une dictée mais cela n’allait pas tellement plus loin.

« Avec le recul, je pense qu’ils auraient dû pousser un peu plus là-dessus. Car nous n’avons pas étudié tant que cela et j’ai quand même eu des lacunes. Par exemple, je fais des fautes d’orthographes. Cela ne m’a jamais vraiment bloqué mais je préférerais ne pas en faire. Je regrette aussi de ne pas avoir appris de langue étrangère depuis mon plus jeune âge. En entrant dans la vie active, j’ai appris l’Anglais, l’Italien l’Espagnol, le Grec et aujourd’hui je commence le Russe. Mais si j’avais parlé Anglais depuis l’enfance, je n’aurais plus d’accent français. En ayant fait de la télé ou du cinéma, je sais que, par exemple, je ne pourrai jamais prétendre à jouer un Américain. C’est un des aspects que je gérerai différemment avec mes propres enfants. Je leur donnerai l’opportunité de s’initier aux langues étrangères le plus tôt possible. »

Taïg aurait aussi aimé que ses parents le poussent un peu plus à lire. Il aurait pu se forger une culture plus solide. Sans que cela soit conscient, son vocabulaire aurait été plus riche. «Quand je suis entré dans la vie active, je n’étais pas très adroit dans la tournure de mes phrases. J’ai réussi à m’adapter… mais cela n’a pas été si simple au départ.

En même temps, je dois reconnaitre que j’avais beaucoup d’avantages par rapport aux autres jeunes de mon âge, ne serait-ce que la capacité d’apprendre vite. »

Puis vient le temps de la découverte du roller au Trocadéro, une activité incroyablement ludique. Mais peu à peu, le jeu se transforme en défi entre copains. Ils s’amusent alors à fabriquer des tremplins pour réaliser des acrobaties. Et ces acrobaties vont attirer l’œil des touristes. Et ce sera l’occasion de collecter quelques pièces pour aller acheter des gourmandises à la boulangerie du coin.

« A cette époque-là, je n’imaginais pas une seconde que le roller pouvait devenir un métier…Puis un jour avec mes parents, j’ai découvert une rampe, le Half pipe, sous une aire d’autoroute et cela a été une révélation.  Une véritable passion. J’ai passé mes jours et mes nuits sur cette rampe. 

Et dès que j’ai su qu’il y avait des compétitions, je m’y suis inscrit. Au début, c’était très amateur mais finalement assez vite j’ai commencé à faire de bons résultats. Mais même si j’étais doué à cette époque-là il n’y avait aucune perspective, le roller était encore trop confidentiel. »

En grandissant alors que ses parents traversaient une passe très difficile, Taïg se résout à abandonner la discipline. Ceux ci avaient ouvert un restaurant mais plus généreux que carriéristes, ils perdaient beaucoup d’argent. Et au fil du temps, la banqueroute semblait inéluctable

« Je suis allé travailler avec eux pour les aider mais aussi les soutenir. Je faisais le service le midi avec mon frère en roller. Nous faisions les plats, les crêpes à l’extérieur et je faisais les petits tours de magie aux clients à la fin pour le dessert. A partir de 18 ans, le roller n’était plus qu’un moyen de locomotion pour moi. »

Une vie difficile qui allait durer deux ans. Jusqu’à ce que le destin en décide autrement. Nous sommes alors en 1995 et  les rollers en ligne deviennent une mode mondiale. Taïg Khris entend dire que certains jeunes arrivent à en vivre. Le rêve serait-il à portée de main ? Quand il évoque le sujet avec ses parents qui, bien que  dubitatifs, encouragent leur fils.

« J’ai eu l’opportunité de participer à une compétition à Bercy et j’ai terminé cinquième. Le soir après la finale, Rollerblade me proposait un contrat avec un salaire de 3400 Deutsche Mark par mois. Cela représentait plus que ce que gagnaient mes deux parents réunis. Et la semaine suivante, je partais en tournée à travers le monde entier. » 

Reda a eu, de son côté, une trajectoire tout aussi étonnante . Il a  d’abord été acteur de cinéma avec quelques premiers rôles à la clé. Il s’est aussi découvert une passion pour la capoeira, discipline qu’il a pratiqué à un très haut niveau et qui lui a permis de faire tournée avec une compagnie de danse dans le monde entier. Il a aussi excellé en tant qu’apnéiste, allant jusqu’à décrocher le titre de champion en Grèce. Puis, Reda est devenu une figure incontournable du poker international.

« Quand j’ai monté ma boîte, je l’ai convaincu de venir travailler avec moi. Je préférais qu’il mette à profit ses talents et son intelligence dans ma société plutôt qu’autour d’une table de poker. »

Grâce au roller, Taïg a pu, pour sa part, éponger  les 200 000 euros de dettes de ses parents. Mais il restait conscient que le roller était une mode et risquait d’être éphémère

« Mon père s’est dit qu’il fallait qu’il m’aide à sécuriser mon avenir en créant des business. Il a eu l’idée d’ouvrir un magasin de roller et d’utiliser ainsi mon image de champion. Cela n’a pas été une réussite. J’ai donc réfléchi à ce que je pourrais faire par moi-même. »

Taïg décide ensuite de conseiller les mairies dans la conception de Skate Park. Se formant au logiciel de dessin AutoCAD il apprend à réaliser lui-même les plans afin de mieux superviser les conceptions. Le concept de Skate Park Taïg Khris était né. L’entreprise prend de l’ampleur jusqu’à un accident qui l’immobilise pendant une année.

« Sur mon lit d’hôpital, j’avais la pression car je devais aider ma famille. J’ai réfléchi à comment exploiter ma notoriété de champion du monde de roller. Et j’ai eu l’idée d’apposer mon image sur des agendas pour les jeunes enfants.Devant le refus de Clairefontaine, j’ai pris la décision d’appeler directement Carrefour et j’ai réussi à décrocher un rendez-vous avec le responsable du rayon papeterie… »

Celui-ci amusé d’avoir un champion du monde en direct au téléphone lui propose de venir dans trois semaines lui présenter sa collection. En raccrochant, Taïg est partagé entre l’enthousiasme du rendez-vous et une certaine fébrilité car la dite collection n’existe pas….encore. Mais il en fallait bien plus pour le décourager. 

« J’ai passé quelques coups de fil aux copains pour qu’ils m’expliquent Photoshop et la nuit j’ai appris par moi-même à faire du design sur Photoshop et j’ai fabriqué moi-même mes propres prototypes. Pour cela, je suis allé acheter  toute une gamme de papeterie chez Carrefour et une imprimante A3. J’ai imprimé mes créations et je les ai collées parfaitement afin de donner l’illusion que j’avais mes propres produits. »

Le rendez-vous est un succès L’acheteur passe commande pour 350 000 euros de produits, sans retour d’invendus. Taïg Khris se lance dans la fabrication tout en réfléchissant au coup d’après. Car si le produit ne marchait pas, il n’y aurait pas de nouvelle commande.

« J’ai alors eu l’idée de contacter l’agent de Tony Parker. Je ne connaissais pas Tony Parker personnellement mais j’ai réussi à le convaincre de me donner son image en exclusivité pour ma gamme de papeterie. Je faisais moi-même mes designs la nuit sur Photoshop, la journée j’alternais  entre rééducation et mes rendez-vous. Tout en reprenant petit à petit les compétitions. Et puis, la troisième année, je suis arrivée avec  de beaux contrats comme Matt Pokara, Christophe Mae et MTV. Nous avons dépassé le million d’euros de vente de produits. Malheureusement quand la boîte a grandi, je n’ai pas su la gérer. En partie, parce que j’avais repris mes compétitions en parallèle. Mais aussi parce qu’il y a eu la crise de 2008 et j’ai enregistré une chute de 60%. J’ai fini par mettre la clé sous la porte. »

L’échec est douloureux mais le bilan positif car Taïg a beaucoup appris : il avait su créer une société, concevoir une marque et gérer la vente. Il a continué sa carrière de champion de roller, tout en explorant de nouvelles idées de business à chaque fois qu’il se retrouvait sur un lit d’hôpital.

« J’ai par exemple lancé une boisson énergétique bien avant l’arrivée de Red Bull. L’idée ne venait pas de moi et j’étais associé. J’avais réussi à faire référencer la boisson chez Casino mais dès que l’argent a commencé à rentrer, il y a eu la guerre entre les associés. J’ai arrêté le projet alors qu’il fonctionnait. Ce qui à ce à ce moment-là, m’a permis de comprendre que si je devais créer ma boite il me fallait les pleins pouvoirs. Pour éviter les complications. »


En même temps, Taïg réfléchit à faire progresser sa notoriété afin de pouvoir capitaliser son image. Il réussit à co-produire des émissions de télévision et à décrocher des contrats d’animateur comme « L’émission des records » sur France 3.  « Toutes ces activités, c’était un vrai melting pot mental. J’étais frustré et complexé de ne pas avoir autant opportunités qu’un tennisman ou footballeur. Pour eux, les contrats viennent directement sans avoir à lever le petit doigt. Moi, j’étais obligé d’être pro-actif. Je faisais moi-même mes relations publiques, je lisais moi-même les contrats, je faisais moi-même sur Photoshop mes books de présentation. Je me rendais compte que si je ne me prenais pas en main, je n’irais pas très loin. Pour décrocher plus d’interviews, j’ai commencé à travailler sur ma manière de m’exprimer et plus je m’améliorais plus les propositions des producteurs de télévision étaient intéressantes. C’était l’effet boule de neige. Chaque fois que je rencontrais un journaliste ou quelqu’un dans le business je veillais à bien garder ses coordonnées. Ainsi non seulement, j’augmentais mon réseau  mais surtout je l’entretenais. »

Peu à peu, Taïg devient un entrepreneur par la force des choses avec toujours en tête l’objectif d’aider sa famille. Chaque nouvelle expérience est l’occasion de grandir, d’évoluer psychologiquement et mentalement. Pour lui, il n’y a jamais d’échec, seulement des opportunités d’apprendre. Loin du formatage scolaire et universitaire, il apprend de manière intuitive. 

« J’avais tant à apprendre, j’étais comme une éponge. J’essayais de comprendre, d’analyser tous les métiers des gens que je rencontrais. J’avais besoin d’accumuler le plus de connaissances possibles pour savoir dans quelle direction aller. Résultat, j’ai aujourd’hui des amis dans des milieux totalement différents et dans tous les contextes milieux ? sociaux »

A 35 ans, Taïg a l’idée d’organiser des records spectaculaires pour décupler son aura médiatique. Il imagine  un record du monde du saut  en roller dans le vide… Et pour entrer dans l’histoire, il imagine de réaliser ce record en se jetant de la Tour Eiffel

Il lui faudra pas moins deux ans de travail acharné pour organiser l’évènement qui est une première mondiale, et qui bénéficiera d’une diffusion en direct à la télévision..

L’année suivante, il se lance dans le record du monde du saut en longueur et pour l’occasion il choisit le Sacré Coeur. En haut de la butte de Montmartre, le cadre est spectaculaire. Les images font le tour du monde.  

En terme médiatique, c’est évidemment un succès. Professionnellement et financièrement, c’est une autre histoire. Trop lourd, trop cher, trop chronophage. Le champion y laisse des plumes et consacre son temps à réaliser des cascades pour des films d’action. Et sur une très grosse production américaine, qu’il va une nouvelle fois se casser la jambe. Retour à la case hôpital longue durée

« J’ai alors commencé à faire le bilan de ma vie. J’approchais la quarantaine, je m’étais séparé de ma copine. Je n’avais pas spécialement d’argent de côté. J’étais en charge de ma famille. Mes expériences business s’étaient toutes arrêtées. J’avais signé un long-métrage où j’avais le premier rôle mais qui était finalement tombé à l’eau à la dernière minute. Et j’avais écrit un long-métrage moi-même que j’avais essayé de monter à Hollywood sans succès… Je m’étais rendu compte que même avec un super scénario et en étant acteur, on se retrouvait totalement lié aux états d’âmes des studios et du réalisateur. J’en avais assez d’être toujours dépendant du bon vouloir des autres. Que ce soit pour monter un film ou organiser un record. C’est à ce moment-là, que je comprends qu’il faut que je change de vie et que je sorte de mon univers de sport extrême. J’avais réussi jusque-là à sortir tirer mon épingle du jeu en étant pro-actif, plus smart que la moyenne…mais cela avait atteint ses limites. »

S’il quittait le monde du sport extrême, dans quel domaine pouvait-il concentrer ses efforts ? Il se savait travailleur, inventif, intuitif…

« En faisant le bilan de tout ce que j’avais appris, j’ai écrit une sorte de formule magique en huit points. Une formule magique qui allait être la clé de ma nouvelle vie.

Premier point : Je devais choisir la plus grande industrie au monde. Les télécoms ne souffraient pas de la criseg, et cela ne s’arrêtera sûrement pas demain, cela semblait être la bonne industrie.


Deuxième point : J’avais compris qu’il fallait arriver à « uberiser » cette industrie; Les nouveaux géants ne sont pas ceux qui sont propriétaires du matériel, des murs. 

Uber est le plus grand réseau de taxis au monde alors qu’il n’est pas propriétaire de taxis. Airbnb est le plus grand réseau d’hôtels au monde sans être propriétaire des murs. Amazon est le plus grand fournisseur de produits au monde sans en fabriquer. Les nouveaux géants ne sont pas ceux qui détiennent mais ceux qui sont l’intermédiaire.

Troisième point : l’utilisateur est roi. Si tu fais quelque chose qui améliore le quotidien, qui est plus simple, les gens vont l’adopter. 

Quatrième point : il fallait que je fabrique le même produit dans tous les pays. Quand je faisais les gammes de papeterie, Tony Parker se vendait bien en France mais pas forcément en Australie. Et si je voulais vendre aussi en Chine il fallait que je trouve un Tony Parker chinois, cela compliquait les choses.

Cinquième point : il fallait que je sois propriétaire de ma marque. Quand j’ai perdu l’image de Tony Parker, j’ai eu un trou dans mon chiffre d’affaire. J’avais compris que si je décidais de faire un produit mondial, il fallait que j’en sois propriétaire pour ne pas être tributaire d’évènements extérieurs.

Sixième point : il fallait choisir une industrie où il y avait une distribution mondiale immédiate. Une application a, par exemple, l’avantage d’être instantanément disponible dans le monde entier en un clic. Je me suis rendu compte que le distributeur est le grand gagnant. Une anecdote le prouve bien, au départ Nike était un distributeur de la marque Asics et un jour Asics a rompu le contrat pour distribuer par eux-mêmes. Le distributeur a été malin, il a dit puisque j’ai le réseau de distribution je vais faire mes propres baskets. Nike était né… on connaît la suite… 

Septième point : il fallait un produit digital. Quand j’avais mon magasin de roller, je me rendais compte que j’étais très limité car il était impossible de vendre des millions de patins la nuit parce que le magasin était fermé. Si tu veux en vendre plus, il te faut plus de locaux, plus de salariés alors qu’un produit digital, à trois heures du matin un dimanche cela ne change rien que tu vendes 1, 1000 ou 3 millions les coûts sont les mêmes.

Huitième et dernier point : il fallait clairement inventer quelque chose d’entièrement et totalement nouveau. Car cette industrie ne m’attendait pas.  

Une fois ces leçons de vie récapitulées, analysées, condensées…  Il fallait juste que Taïg  trouve la bonne idée qui n’existait pas… encore.

« Je suis partie de mon expérience d’utilisateur et réfléchissant au fait qu’aujourd’hui, on a tout dans le cloud. Nos films avec Netflix, notre musique avec Spotify, notre adresse email, nos photos etc… et pourtant notre 06 est bloqué dans une carte SIM physique. J’ai commencé à rêver… Pourquoi le numéro ne pourrait-il pas être décorrélé de la SIM et dématérialisé comme une adresse email ? Cela permettrait d’avoir des numéros étrangers. Cela permettrait aussi quand on n’a plus de batterie d’utiliser le portable d’un copain pour récupérer nos sms et nos messages. Et puis, en cas de vol, on pourrait récupérer tous les contacts en une fraction de seconde, Les avantages étaient nombreux… cela simplifierait tellement la vie »

L’idée semblait excellente mais encore fallait-il qu’elle soit techniquement et légalement possible. Comment en être sûr ? Dans un premier temps, Taïg a dû identifier le corps de métier qui pourrait répondre à ses questions. «  J’ai compris au bout d’un moment qu’il fallait un chef architecte Telecom…Celui que j’ai trouvé m’a annoncé un tarif de 1 500 euros par jour pour travailler sur mon idée… Cela représentait une grosse partie de mes économies mais c’était une étape obligatoire. »

Le verdict tombe. Oui c’était faisable techniquement et légalement. Cela n’existait pas encore mais il y avait une certaine contrainte… Le seul moyen de le faire c’était de créer un opérateur Telecom mobile mondial.  « Et là, je crois que beaucoup auraient lâché… Mais moi non et c’est grâce à mes parents… Ils m’ont toujours appris à  me focaliser sur les choses positives. Je n’ai donc retenu que le fait que c’était possible et que cela n’existait pas encore.… »

Taïg trouve finalement un opérateur qui accepte de sous louer son accès au réseau, le temps qu’il puisse créer le sien. Une location qui a un prix : 150 000 euros au départ et 10 000 à 20 000 euros chaque mois.  « Moi, à ce moment-là, je suis convaincu que cela va marcher. Je me suis donc enfermé chez moi pendant des mois. J’ai fait un dossier de cent pages à présenter au fonds d’investissements qui était accompagné d’un business plan et d’un proto du produit (des mockup de design). L’idée était tellement géniale que je n’avais aucun doute sur le fait qu’ils allaient me donner des millions pour la réaliser. Les fonds d’investissements ont accepté de me recevoir parce que j’étais le mec qui avait sauté de la tour Eiffel. Ils ont alors réalisé que je n’étais pas là pour parler de sport-extrême mais pour leur demander de l’argent afin de créer un opérateur Telecom mondial. Qu’en plus de cela, je n’avais pas d’argent et que je n’avais pas de diplôme, que je n’avais pas non plus d’équipe d’ingénieur… Ils m’ont pris pour un malade et ils ont refusé. »

A la sortie de ce rendez-vous, Taïg reçoit un appel de son chirurgien qui lui fait la morale car il ne vient plus à ses rendez-vous de rééducation. « Je lui explique alors à quoi je me suis consacré. Il me répond « Cette idée est géniale, je veux investir ». C’est alors une évidence… Si les fonds d’investissements ne veulent pas financer, il faut trouver l’argent autrement. Taïg part dans un marathon et arrive à convaincre toutes sortes de personnes de son entourage, la sœur de son chirurgien, son avocat, son comptable, ses copains riders, mes amis sportifs… 

« Au final, trente personnes me donnent un million d’euros en prenant un peu moins de 20% de l’entreprise qui n’était pas encore créée. Je suis parti ensuite m’installer en Estonie car là-bas les ingénieurs sont moins chers. Et je me suis retrouvé patron d’ingénieurs sans rien y connaitre. Je devais les manager alors que je n’avais aucune compréhension de la partie mobile ou serveur. Il y a eu des mois et des mois d’apprentissage où ils étaient mes profs. Je pensais être à l’aise avec un million d’euros mais assez vite je me suis rendu compte qu’il en fallait 15 fois plus. Si j’avais su le vrai montant, personne n’aurait investi. »  

Chaque mois, Taïg doit trouver des fonds pour payer les salaires. Mais il n’en démord pas, cela va marcher… « Au final, à force de travail, j’ai tenu pendant quatre ans en trouvant près de dix millions d’euros auprès de cent-trente investisseurs privés. Et comme ma société a grandi, les fonds d’investissement ont finalement accepté d’investir dix millions d’euros, à savoir dix fois plus que ce que je leur avais demandé la première fois. Aujourd’hui ma société est rentable. Nous ne perdons plus d’argent. Mon chiffre d’affaire dépasse les huit chiffres annuel et pour le moment il double chaque année. 

Nous sommes une équipe de soixante collaborateurs et si tout va bien nous allons doubler, tripler et peut-être même quadrupler dans les années à venir. Je suis devenu expert Telecom et j’ai inventé quelques brevets qui ont fait évoluer la régulation télécom.

J’ai eu la chance d’être élu au board de France Digitale parmi les dix représentants qui représentent la tech en France et en Europe… » 

Et probablement, le seul à ne jamais être allé à l’école.

Audrey et Frédéric :  » Nos filles nous impressionnent par leur créativité « 

Audrey et Frédéric ont trois filles. Fait assez rare dans l’instruction en famille, c’est le père qui est en charge de l’éducation. Une éducation très cadrée et organisée qui laisse néanmoins une part belle à l’expression artistique sous toutes ses formes.

Crise sanitaire oblige, nous avons fait connaissance par skype. Détail amusant tout au long de l’entretien, ils ont changé de place à plusieurs reprises pour que chacun puisse être à tour de rôle au centre de l’écran. En a résulté un entretien à cinq voix aussi joyeux que dynamique

La famille Courtois

Lyne, l’aînée âgée de 17 ans a démarré l’instruction en famille quand elle était en CP. Aujourd’hui, elle commence un parcours de pour devenir développeur web. En fin de cursus, elle aura un diplôme équivalent d’un Bac +2. Profil littéraire dès son plus jeune âge, elle dévorait les livres et s’est rapidement mise à écrire des nouvelles. Adolescente, elle s’est prise de passion pour la création d’images de synthèse, activité qui est devenue depuis son objectif professionnel,

A 15 ans, Leïa elle n’a fait qu’une année de maternelle avant de vivre l’épanouissement offert par l’école la maison. Leïa est une touche à tout sur le plan artistique : elle est à la fois passionnée de dessin et d’animation mais aussi de sculpture et de peinture tout en ayant une pratique assidue du piano. Comme sa grande sœur, elle aime écrire. Elle est aujourd’hui en seconde.

Lucy, âgée 13 ans qui n’est jamais allée à l’école. Elle aime concevoir des images de synthèse et dessiner. Elle adore aussi la musique, que ce soit en écouter, en jouer ou en composer. Elle est aujourd’hui en troisième.

Audrey, leur maman, est ergothérapeute une activité qui l’oblige à aller à la rencontre de ses patients. Frédéric, leur papa, diététicien et nutritionniste, un métier qu’il peut aisément exercer à la maison. Lorsque Frédéric et Audrey ont pris la décision de l’instruction en famille, le choix de Frédéric comme responsable de la transmission des savoirs s’est naturellement fait. Même si Audrey n’est pas présente en journée pour assurer le suivi des apprentissage, elle est tout aussi impliquée que Frédéric « Nous avons toujours discuté ensemble de l’orientation, des méthodes, du fonctionnement. Alors que Frédéric se focalisait sur les cours, moi je me tournais plus vers les réseaux sociaux, les groupes de familles sur internet pour découvrir des outils, d’autres infos avec un rôle de documentaliste. Ainsi chacun faisait sa part. »

L’aventure de l’école à la maison a commencé il y a maintenant onze ans et elle est liée à une aventure professionnelle. Frédéric savait que l’année scolaire serait jalonnée par des séjours de plusieurs semaines au Québec et il était inconcevable pour Audrey et lui de ne pas être tous réunis. Lyne allait entrer en classe de CP, Leïa n’avait pas encore l’âge de commencer l’école, leurs parents font donc des recherches pour trouver une solution qui leur permet de continuer à recevoir des enseignements tout en voyageant. Une décision qui n’a pas été simple à peser car Lyne était en CP, une année très importante dans un parcours scolaire  « Nous avons alors opté pour l’IEF dont nous avions déjà entendu parler par une personne de notre entourage. Dans un premier temps nous avons cherché sur Internet ce qui existait pour nous organiser. Et nous avons découvert l’EAD (enseignement à distance) mis en place par la Belgique, un peu sur le même principe du CNED. Nous recevions les cours avec un devoir à rendre qui ensuite était corrigé par un enseignant. 

Quand nous nous sommes inscrits, un document venait expliquer les bases de l’enseignement à distance, où par exemple, il était précisé qu’il n’y pas de fautes, mais des erreurs … et comme ils le disaient si bien « on apprend de ses erreurs ». Des concepts que nous n’avions jamais entendu dans le système scolaire classique. Ils nous ont également demandé si nous préférions des notes ou simplement des appréciations, ce qui nous a agréablement surpris. Nous avons opté pour les appréciations et d’emblée, nous avons été impressionnés par la bienveillance des professeurs lors des corrections. Quelle chance de voir l’erreur valorisée comme source d’apprentissage »

Cette méthode leur a permis d’avancer sereinement tout au long du cycle de primaire. Puis pour la période du collège, comme le programme différait de celui de la Belgique, la famille a choisi d’utiliser des cahiers d’exercices de mathématiques et de français. Ces cahiers suivent le programme de l’Éducation Nationale sont habituellement utilisés en soutien scolaire, de quoi être rassuré.

« Nous enrichissions les apprentissages par des films ou des documentaires adaptés et très variés. Et puis nous faisions aussi beaucoup d’apprentissages informels : cuisiner, jardiner, bricoler, créer, tout était bon pour apprendre…Pour l’Anglais, en revanche, nous avons tâtonné un certain temps car les cahiers d’exercice ne suffisaient pas. Nous avons, alors, essayé duolingo, un système d’apprentissage par répétition ; cela a permis d’’acquérir certaines bases mais ce n’était ni enthousiasmant, ni efficace sur le long terme… »

Convaincus que le meilleur moyen d’apprendre une langue étrangère était finalement d’être en contact avec des natifs, Audrey a tenté de trouver des familles non-sco vivant à l’étranger. « C’est par le biais des groupes Facebook de familles en IEF que nous avons trouvé d’autres mamans qui cherchaient également des correspondants pour leurs enfants. Les filles ont dans un premier temps écrit des mails en Anglais avec le plaisir d’avoir un retour. Ensuite, nous avons pu passer aux échanges par Skype afin de se parler directement. Même si c’était assez impressionnant, les filles se sont jetées à l’eau et aujourd’hui, elles sont capables de discuter en Anglais, sans la moindre difficulté et surtout sans être complexées. »

Elles ont ainsi créé des liens avec des jeunes de leur âge en Californie, en Ohio, à Hawaï, en Colombie Britannique, en Écosse, au Vietnam et même en Afrique et en Australie.

Au fil des années, la famille a fait le choix de suivre méticuleusement le programme de l’Education nationale. Un chemin balisé qui leur a permis de passer les contrôles annuels sans la moindre difficulté. Aujourd’hui Frédéric est convaincu que les enfants en IEF acquièrent un meilleur niveau que ceux qui sont sur les bancs de l’école.

« L’avantage de l’instruction en famille, c’est qu’avec un adulte pour trois enfants,  on peut s’adapter à chacun et les activités académiques se font beaucoup plus vite qu’à l’école.  S’il y a un point faible, on revient dessus. Un point fort, c’est acquis alors on peut passer à la suite …Et puis, c’est la possibilité de s’adapter aux spécificités de chaque enfant.  Par exemple, pour les Mathématiques, quand je sentais que cela bloquait, je pouvais toujours sortir la carte de l’humour qui permet de dédramatiser. Et je pouvais également prendre tout le temps qui était nécessaire pour accompagner l’apprentissage de la notion sans la moindre pression. Le but est de créer des émotions positives pour favoriser l’apprentissage. Et quand, on n’a pas toute une classe à gérer on gagne du temps. »

Ainsi, les filles ont chaque après-midi le loisir et le temps d’explorer les matières non-académiques comme les images de synthèses, le dessin, les films, l’animation, la programmation internet, le Qi-gong…  

Comme l’écrit Bernadette Nozarian dans son livre « Apprendre sans aller à l’école »  aux Éditions Nathan. Le choix de l’école à la maison va bien au-delà d’une simple question d’enseignement « Il impacte la vie familiale dans son ensemble, la vie de couple, les revenus, le travail, le temps, les relations avec le reste de la famille, du voisinage, des amis. » 

Frédéric et Audrey pensent eux aussi que l’instruction en famille leur a ouvert un nouvel horizon « L’école à la maison a changé notre rythme de vie, notre vision du monde mais également notre vision de nous-mêmes. Alors que nos professions nous enfermaient dans un vrai métro-boulot-dodo, l’IEF nous a apporté un rythme que nous qualifierons de slow life, qui n’est pas forcément moins productif mais qui nous a appris à nous poser comme dans une randonnée, dans une course où l’on fait des étapes. Ce nouveau rythme, où l’on a appris à prendre soin de soi, à intégrer la créativité a changé notre vie. D’ailleurs les psychologues et les psychiatres le savent, la créativité est un outil très efficace contre le stress. L’idée est de faire un petit peu tous les jours. A l’instar de ce proverbe péruvien que l’on a découvert : « Petit à petit, on va loin » Ce qui était important pour nous, c’était de sortir de la dynamique de compétition et rentrer dans un monde de collaboration. »

 Devenir l’enseignant de ses propres enfants a été pour ce père de famille l’occasion d’une introspection qui semble l’avoir mené bien plus loin que ce qu’il aurait imaginé

« En étant leur professeur toutes ces années, j’ai eu l’occasion de travailler toutes les matières de l’Histoire à  l’Éducation civique en passant par les Mathématiques, … Même si parfois j’avais quelques doutes sur leur intérêt dans la vie, le fait de transmettre ces notions m’a forcé à trouver leur utilité et cela nous a fait évoluer. Et puis le fait de vivre au quotidien, à longueur de journée avec nos filles nous oblige à être irréprochable dans notre comportement car nous devons donner l’exemple, nous ne pouvons pas nous permettre de faire n’importe quoi. Contrairement à ce que certains pourraient penser, cela ne nous a pas éloigné de la société. Cela nous y a fait entrer encore plus en profondeur, faisant de nous de meilleurs citoyens. » 

Passionné de cinéma, Frédéric a évidemment transmis son goût pour cet art à ses filles. L’occasion de leur montrer que les films pouvaient être à la fois une formidable source d’apprentissage mais aussi une incroyable fenêtre sur le monde. Au fil des découvertes, les filles ont eu envie de réaliser leur propre court-métrage. De quoi rendre Frédéric comblé.

« Il est important pour moi de dire que cette envie vient d’elles au départ. Mais c’est vrai que petit à petit, nous nous y sommes tous impliqués. Elles écrivent le scénario, elles jouent, elles filment, parfois on les aide pour tenir la caméra quand elles se trouvent devant toutes les trois. Parfois, nous nous sommes investis pour les aider à trouver des costumes, du maquillage. Cela donne toujours lieu à de belles discussions en famille. C’est extrêmement enthousiasmant de se réunir autour de projets communs. » 

Leur intérêt s’est porté sur le genre du film d’action inspiré des super-productions américaines. Pour éveiller l’intérêt de leur public, le trio de sœurs a diffusé une bande-annonce sur leur chaine YouTube en septembre 2020. Elles ont fait le pari que leur film soit bouclé à l’été 2021. Cette création artistique n’a pas fait que les lier entre sœurs, c’est toute la famille qui s’est impliquée :« Comme un des personnages était une femme adulte, c’est moi, Audrey, qui ai été désignée. C’était une première pour moi. Pour le montage, c’est Frédéric qui contribué : les milliers de films qu’il a vus dans sa vie lui ont donné un œil averti sur ces choses. Il aime les aider à analyser la forme et le fond lorsque nous regardons, en famille, des films ou bien des documentaires des « making-of » de ces mêmes films. Ainsi, nous enrichissons ensemble nos connaissances et nous pouvons ainsi les réinvestir dans leurs réalisations. »

Mais plus que dans la réalisation, c’est dans la création d’images de synthèse que les filles excellent comme Frédéric aime le raconter « Cette passion est venue en regardant une vidéo sur YouTube où un amateur montrait comment il avait modélisé une bouteille de Coca Cola avec le logiciel 3D Blender.  Elles ont immédiatement eu envie de se lancer. Elles sont allées rechercher des tutoriels sur internet. Ensemble, nous avons testé plusieurs logiciels. Maintenant, elles sont autonomes en création en utilisant ce même logiciel professionnel, Blender, qui conçoit les effets spéciaux dans la série « Man in the high castle » ou bien le film d’animation « J’ai perdu mon corps ». Et nous, les parents, sommes impressionnés par ce qu’elles arrivent à faire. Cette expérience prouve qu’il ne faut pas avoir peur de tenter, de se lancer. Quand elles se sont lancées dans la réalisation de film, nous les avons suivies. Elles essaient et nous parents, nous les soutenons. Elles tentent sans avoir peur d’être jugées, sans avoir peur de l’échec. »

En parallèle, les trois soeurs écrivent un roman ensemble,  projet initié avec une amie en IEF. Mais quand celle-ci est retournée à l’école, les rythmes n’étaient plus compatibles, elles ont alors décidé de proposer à leur mère se joindre au projet d’écriture. Audrey qui ne gardait pas de bons souvenirs des cours de Français et même de l’école en général, a dû faire preuve d’ouverture d’esprit pour se plonger dans un travail rédactionnel.

« Mes réminiscences de l’école sont morcelées car, comme mon père travaillait dans une banque, tous les trois ans nous déménagions. Et c’était vraiment très difficile à chaque fois de s’adapter au nouveau groupe d’élèves et une fois que j’avais mes repères et mes habitudes, il fallait déménager à nouveau. Cela n’a pas été des années d’épanouissement. Et les amis que j’ai gardés étaient souvent des jeunes exclus du groupe, comme moi, pour diverses raisons. Pour moi, l’école est une parodie de vie en société. C’est un groupe en vase clos qui se referme sur lui-même et entretien la xénophobie (rejet de l’étrangère que j’étais), alors qu’une fois dans la vraie vie, dans la vie professionnelle, je n’ai pas ressenti de réticence à être intégrée en tant que nouveau membre comme ce que j’ai pu voir à l’école. »

Pour Frédéric, le regard sur le système scolaire actuel est pour le moins mitigé, qu’il s’agisse du cadre dans lequel évolue les élèves que de la pédagogie appliquée

« Ce qui nous semble regrettable à l’école, c’est le fait qu’il y a énormément de théorie et peu de pratique. Les apprentissages sont très dirigés. Tout le monde doit faire la même chose au même moment. Je me suis, pour ma part, épanoui qu’à partir de l’Université. Malgré des notions beaucoup plus complexes qu’au Lycée, la liberté qu’on nous laissait pour trouver notre manière d’apprendre était galvanisante. Quand je suis ensuite allé faire mon doctorat à Montréal, au Canada, c’était encore mieux ; outre cette liberté propre au monde universitaire, on avait ici accès à des outils nous ouvrant à une quantité impressionnante de savoirs adaptés à la vie professionnelle.

Et puis, avec le temps, je me suis rendu compte que l’école était un lieu de compétition et de sélection. Alors qu’il faudrait que ce soit uniquement un lieu d’instruction. Et à commencer par le système de notation. Quand nous avons appris que certains ne pratiquaient pas de système de notation en Europe du Nord, tout au moins au primaire, au départ notre première réaction a été de nous demander comment cela pouvait tenir la route. Et puis, j’ai découvert que des études démontraient que de ne pas avoir de notations favorisait l’apprentissage.C’est assez étonnant de voir combien l’IEF a fait évoluer nos principes, nos croyances et nos idées reçues »

Quant à Lyne, la seule des trois filles à avoir passé plusieurs années dans le système scolaire, pour elle l’école est loin d’être une source d’épanouissement

« J’ai la sensation d’avoir infiniment plus appris en faisant l’instruction en famille qu’à l’école. J’ai d’ailleurs rapidement pris un an d’avance dans mon parcours. Bien sûr à l’école on peut apprendre correctement mais le rythme est très lent. Et du coup c’est terriblement chronophage et cela ne laisse plus d’espace pour d’autres activités en parallèle. Et puis, j’ai aussi vécu des moments douloureux en maternelle car je me suis faite frapper par d’autres enfants…  J’ai le souvenir d’une grande solitude au milieu des autres enfants. »

Frédéric a dessiné un cadre pour favoriser le bon apprentissage des filles. Le système scolaire propose un rythme défini sur un schéma de 8 semaines de classe et de deux semaines de vacances. Audrey et Frédéric ont eu l’idée de proposer à leurs filles quatre semaines d’activités et une semaine de vacances. Vacances ne signifient pas départ de la maison mais suspension des activités académiques. Les filles ont alors la part belle pour leurs activités créatives. Pour fixer les principes par écrit, Frédéric a créé un planning, en s’inspirant de la manière dont les pays nordiques respectent le rythme de l’enfant.

A quoi ressemble une journée type pour Lyne, Lucy et Leïa  ? En période « scolaire » chaque matin est consacré aux activités académiques de 8 à 10 heures. Puis les jeunes filles ont un espace de détente jusqu’au déjeuner qui est chaque jour à 11h30. Ensuite, elles ont un temps de révision avec des fiches résumant les apprentissages. Puis de 13 heures à 15 heures, elles se consacrent à leurs activités artistiques (écriture de leur livre, dessin, créations d’images de synthèse, musique, tournages,…). La fin de l’après-midi est, quant à elle, consacrée aux activités sportives.

Elles sont à l’âge de faire des choix d’orientation. En sa qualité d’aîné, Lyne va ouvrir le bal et non sans faire un choix radical puisqu’elle a décidé de ne pas passer son Bac. 

« Le Bac ne me semble pas une étape essentielle. Tout simplement parce qu’il ne me donnera pas un emploi. J’ai décidé de m’orienter vers openclassroom qui délivre un diplôme professionnel de développeur-web de niveau BAC+2 sans avoir besoin du Bac et reconnu par la France. Ensuite, je compte me partager entre cela et les images de synthèse que j’adore. Il existe actuellement peu de formations en images de synthèse et ce qui compte avant tout dans ce milieu c’est le portfolio. Du coup, je commence à construire le mien sur l’animation et le modeling/sculpting.

Pour l’instant en seconde, Leïa n’a qu’une ébauche d’idée de son orientation professionnelle mais elle se voit emboiter le pas de sa sœur : pas de Bac et des études suivies en ligne pour accéder au diplôme de développeur-web.

« Je compte faire la même formation que ma sœur et ensuite me partager entre le web et le dessin et l’illustration. C’est un domaine qui me passionne et grâce à l’IEF, j’ai pu passer énormément de temps à dessiner sur du papier ou sur mon ordinateur avec une tablette graphique. Je suis en discussion avec une équipe américaine pour participer à un projet de série animée. »

Aujourd’hui, la dernière Lucy n’est pas encore totalement décidée mais elle assume déjà un très grand intérêt pour les images de synthèse « Mais pas les mêmes que Lyne ; moi c’est plutôt des objets ou des décors réalistes, avec plein de détails … tellement, d’ailleurs, que mon ordinateur commence à avoir du mal à suivre. »

Le goût de ses filles pour la création artistique web a ouvert une voie insoupçonnée à Audrey. Elle projette de se former elle aussi aux métiers du web, ce qui lui offrira de travailler à distance et pourquoi pas à terme travailler avec ses enfants. Car pour elle sa plus grande passion dans la vie et elle le revendique, ce sont ses filles « J’admire leur créativité, une créativité qui m’inspire chaque jour un peu plus. »

Preuve de cette créativité, voici le lien du film qu’elles ont réalisé en famille

https://www.youtube.com/watch?v=dtJRtrjjc4Y

Isabelle Filliozat : « Le problème des enseignants, c’est qu’ils enseignent »

Isabelle Filliozat, psychothérapeute, travaille depuis des années autour de l’importance des émotions dans l’évolution et l’épanouissement de chacun.

Elle a écrit des livres essentiels comme « L’intelligence du cœur »,« Au Cœur des émotions de l’enfant » et « Il n’y a pas de parent parfait ».

Son point de vue sur l’école et l’enseignement est passionnant. Il nous invite à découvrir une troisième voie qui ne serait ni l’école telle que nous la connaissons aujourd’hui, ni forcément l’IEF mais un territoire où l’on aurait accès aux deux et qui permettrait aux enfants de redécouvrir le bonheur de la curiosité libérée, de l’empathie et de l’autonomie joyeuse.

Quel est votre perception de l’école à la maison ? 

L’école à la maison est quelque chose que j’aurais aimé faire avec mes enfants mais à l’époque c’était moins accessible.

Soyons précis, je préfère que nous parlions d’instruction en famille. 

En effet, ce n’est pas forcément à la maison que cela se passe et ce n’est pas forcément l’école non plus. 

L’IEF c’est la possibilité de permettre aux enfants d’apprendre en suivant au plus près leurs besoins et leur rythme biologique tout en suivant aussi le processus naturel de l’apprentissage.

Chaque famille devrait avoir la possibilité de l’expérimenter ne serait-ce que durant un an.

C’est aussi une occasion absolument fantastique de passer du temps avec les enfants. Les moments partagés avec ses enfants sont toujours trop courts. Le temps des enfants passe toujours trop vite. 

Déjà avec la commission des mille jours,(1) nous avions fait cette recommandation que la première année soit passée avec les parents. Mais ce serait formidable de faire bénéficier chaque famille d’un temps avec les enfants à un autre moment. 

(1) La commission des 1000 jours est un rapport de 18 experts, présidée par le neuropsychiatre Boris Cyrulnik. Elle regroupe des experts de spécialités différentes avec une conviction commune : l’importance décisive des 1000 premiers jours de l’enfant. Ils et elles sont neuropsychiatres, spécialistes de l’éducation ou de l’éveil des enfants, acteurs de terrain de l’accompagnement social des parents, pédiatres et praticiens hospitaliers, sage-femme.

Quelle image avez-vous de l’école classique ?

L’école telle qu’elle est aujourd’hui correspond aux besoins de certains enfants mais pas à tous. Telle qu’elle est construite aujourd’hui, elle est source de violences diverses. La quantité de problèmes de harcèlement montre que la dynamique sociale de l’école n’est pas forcément une dynamique très saine.

 Notre mission en tant qu’adulte est d’équiper nos enfants pour qu’ils soient le plus à l’aise possible dans la vie. Pour cela, nous devons aider à former leurs compétences à apprendre, « savoir apprendre » à apprendre le mieux possible.

Nous devons les initier à toute la dimension de la socialisation et de l’intégration dans la société. Or on croit que l’école est une bonne façon de socialiser les enfants mais nous sommes obligés de constater que l’école aujourd’hui dé-socialise les enfants. Les enfants qui sont instruits en famille sont souvent bien plus sociables que les enfants qui vont à l’école. Parce qu’à l’école, la socialisation est finalement bizarre, étant donné que l’on a choisi de la faire par tranche d’âge. Non seulement ce n’est pas naturel mais cela engendre  beaucoup de violence.

Quelles sont les autres faiblesses de l’école traditionnelle ?

Dans la plupart des écoles, les enseignants veulent enseigner. Le problème c’est que c’est souvent contraire aux apprentissages. Parce que lorsque l’enseignant enseigne, le cerveau de l’enfant se met en passivité or pour apprendre on a besoin d’être actif. 

Plus on suit son propre rythme et les mécanismes de notre cerveau et plus nous allons apprendre facilement. 

C’est bien de temps en temps de  faire des cours magistraux mais le problème de nos écoles d’aujourd’hui c’est que ces cours magistraux représentent 90 % du temps. Les enfants français sont les enfants en Europe à qui on demande d’être assis le plus longtemps. 

Dans tous les autres pays, les enfants se lèvent beaucoup plus tôt que chez nous. Ils ne sont pas en rang d’oignons comme en France. Dans le film allemand « La Vague » (2) c’est assez spectaculaire. 

Dans ce film l’enseignant veut faire toucher du doigt à ses élèves ce qu’est un état fasciste. Il décide donc de transformer sa classe en état totalitaire. Il souhaite leur faire vivre l’expérience plutôt que de leur faire un cours. Pour commencer celle-ci, il transforme la classe. Au début, les tables sont installées en carré et les élèves assis par groupe ainsi ils peuvent se regarder les uns les autres.  Le professeur commence par faire disparaitre les bouteilles d’eau et la nourriture. Il met ensuite  les tables les unes derrières les autres comme en France. Et puis il leur demande d’arrêter de le tutoyer pour le vouvoyer. Et là, cela me fait sourire car je vois une classe française. 

Un des gros problèmes de l’école actuelle c’est que les enseignants s’adressent à des enfants qui ne regardent que l’enseignant au lieu de se regarder les uns les autres.

Il y a dans les autres pays du monde, des méthodes qui fonctionnent mieux où les élèves apprennent par groupe ensemble. Et puis ils bougent. se lèvent, se rassoient.  Ils ont des projets. En France c’est massivement l’enseignant qui est au centre, sur une estrade à faire son cours. 

De nos jours, souvent les enfants ne l’écoutent plus. Cela devient alors la jungle. Non pas parce que les professeurs n’ont plus d’autorité mais simplement parce que les écrans sont partout. Les capacités cognitives des élèves baissent à cause des écrans, mais aussi à cause de la consommation de nourriture de mauvaise qualité qui perturbe le cerveau. Et enfin aussi à cause des nombreux perturbateurs endocriniens qui perturbent la signature thyroïdienne et altèrent l’humeur et le QI.

Par ailleurs, ils sont assis 99% du temps et inlassablement on leur demande de s’asseoir et de se taire, alors que l’on sait aujourd’hui combien le manque d’activité est dommageable  pour la santé. En restant assis on diminue par deux l’oxygénation dans les jambes et par conséquent dans le cerveau.

Finalement avec notre système, nous mettons en place tout ce qui est le plus compliqué pour réussir à apprendre.

Autre chose qui est gravissime,  c’est le rythme que nous imposons aux adolescents avec un début de journée entre 8 et 9 heures du matin.

Cela n’est absolument pas respectueux de leur rythme. Car après 12 ans, un adolescent voit son horloge biologique se désynchroniser et prendre deux heures de retard. 

Il ne peut pas se coucher avant dix ou onze heures du soir et ne devrait pas avoir à se lever avant 9 heures du matin. 

Il est évident que quand il l’adolescent est en cours à huit heures, il perd ses dernières heures de sommeil qui sont si essentielles. En conséquence, il va avoir un déficit de sommeil phénoménal car il n’arrivera pas pour autant à se coucher plus tôt. Un tiers des enfants sont du matin, pour eux il n’y aura pas dommages mais pour les autres les premières heures de cours sont le pire moment pour avoir une activité intellectuelle. Cela ne va pas poser de problème mais pour les autres c’est le pire moment pour réfléchir. 

L’avantage de l’école à la maison c’est que l’on peut suivre le rythme naturel de l’enfant.
L’école à la maison permet elle de suivre le rythme naturel de l’enfant.

(2)La Vague (Die Welle) est un film allemand  de 2008 réalisé par Dennis Gansel. Il est librement inspiré de « La Troisième Vague », une étude expérimentale d’un régime autocratique, menée par le professeur d’histoire Ron Jones avec des élèves de première de l’école Cubberley à Palo Alto (Californie) pendant la première semaine d’avril1967. (source Wikipedia)

Est-ce que toutes les familles peuvent faire l’école à la maison ?

Cela parait difficile pour les familles monoparentales. Il est difficile d’être seul. Etre seul pour mener un tel mode de vie me parait quasi impossible. Heureusement, il y a heureusement de plus en plus d’associations qui permettent aux parents de s’entraider, de partager des découvertes pédagogiques, de se retrouver avec les enfants. 

Le mieux serait d’avoir un fonctionnement mixte. Dans une situation idéale, je verrai une pratique de l’instruction en famille de façon coordonnée avec une école. On Les familles pourraient être relié à une école et de temps en temps participer à des spectacles, à des projets, comme pouvoir participer à par exemple que l’enfant soit intégré dans l’effectif dans le cadre des grands concours. Il y a de nombreux aspects positifs de l’école. Que les enfants en instruction en famille puissent participer à certains projets de classe serait formidable. 

Si nous arrivions à être moins rigide et avoir des frontières plus poreuses ce serait superbe. Pourquoi ne pas être moins rigide dans notre manière de penser l’Éducation nationale ? Pourquoi ne pas proposer des frontières plus poreuses entre les modes éducatifs ? 

A l’école, les enfants sont devenus très dépendants de leur enseignant dans leurs apprentissages. Si pendant le confinement, les parents ont tant souffert c’est parce qu’ils ont voulu faire l’école à proprement parler et ils ont été confrontés à cette dépendance.

Quand on fait l’instruction en famille on rend les enfants autonomes dans leur apprentissage donc ils n’ont pas besoin de notre aide en permanence. L’instruction en famille permet  aux enfants d’apprendre différemment, en sortant de la maison, en allant à la rencontre des autres…

On a l’impression que l’école à la maison est plus dans la coopération alors que l’école classique est plus dans la compétition. 

Tout à fait. L’idéal serait que tout le monde rentre dans la coopération. Même si la compétition a des aspects positifs. Dans toute la France, des classes font de grandes compétitions de Mathématiques, quel beau projet, que d’émulation pour ce groupe d’élèves ! Avec toute la classe, c’est formidable. Ce qui est nocif c’est la compétition individuelle ont montré des études. Chacun se retrouve en compétition contre tous les autres. L’élève ne se bat pas « pour » gagner avec les autres vers le même but mais « pour gagner contre », pour être meilleur que son semblable. Les garçons qui ont besoin d’émulation aiment beaucoup la compétition. Une compétition en groupe est positive. elle crée une histoire unificatrice pour le groupe les groupes. C’est un des atouts de l’école 

En quoi les enfants instruits en famille sont différents ? 

Je ne suis pas sociologue mais j’ai remarqué que ce qui est différent c’est qu’ ils ont une autonomie de travail que n’ont pas les autres. Ils ont aussi un niveau de responsabilité bien plus élevé.ILs sont souvent plus conscients de l’impact de leurs actes et de leur comportement. A condition que l’instruction en famille ne se soit pas conçue comme celle de l’école. Le problème c’est qu’ à l’école il y a le cours mais aussi tout l’espace de sanction et de punition. Les enfants qui sont punis, perdent leur capacité de responsabilisation. Alors qu’un enfant qui a été éduqué sans punition et qui a été plus libre de choisir son l’organisation du de son temps, se connait mieux. Il est à même de savoir ce dont il est capable et ce dont il a besoin. Il sait a les capacités de suivre un projet du début à la fin. Il va être très impliqué dans l’élaboration d’un projet tout en sachant utiliser faire appel à tel ou tel adulte ou tel et tel autre enfant

Est-ce que les enfants qui font l’IEF sont soumis aux diktats de la mode ? 

Ils n’ont pas la même influence sociale. Ils ne sont soumis à aucun diktat d’influence sociale puisqu’il n’y a pas de nécessité de s’intégrer dans un groupe social. 

A l’école, les enfants  sont laissés à eux même, les adultes ne gèrent pas les groupes. Les adultes ne participent pas à la fluidité dans les groupes et à l’autonomisation de chacun. Il y a un gros problème car les enfants ont la crainte craignent de ne pas être acceptés par le groupe. Et l’influence  des autres a un impact phénoménal. 

Non seulement ils vont chercher à être dans les codes de la mode mais ils vont être aussi influencés dans les choix musicaux. Ils vont aussi pouvoir se laisser faire sexuellement. Ils ne vont pas forcément savoir dire non. 

Ils vont par exemple regarder des films pornographiques. Non pas parce qu’ils le désirent mais par soumission, tout simplement pour pouvoir être accepté. Si l’enjeu c’est soit je montre ma culotte, soit je suis rejetée, je vais faire ce qu’il faut pour ne pas être rejetée. C’est un des gros inconvénients de l’école aujourd’hui.Les enfants non scolarisés n’ont eux pas à en passer par là les mêmes problématiques. 

De quoi un  enfant a besoin pour s’épanouir et apprendre correctement ? 

Il a d’abord besoin d’un attachement solide, une relation avec un adulte qui l’aime afin de se sentir en sécurité de manière globale. 

Il est fondamental de respecter son rythme biologique : dormir et se coucher à l’heure qui lui convient, chacun ayant un rythme qui lui est propre. Ne jamais être reveillé avec un réveil le matin. 

Pour avoir un cerveau en bon état de fonctionnement, il est recommandé de boire beaucoup d’eau. La santé étant dans notre assiette, il me parait important de privilégier les omégas 3 et les bonnes vitamines.

Pour apprendre correctement, un enfant a besoin d’être intéressé par un projet d’apprentissage, de comprendre pourquoi nous le faisons. Nous apprenons beaucoup mieux lorsque nous relions ce que nous souhaitons mémoriser à un projet. Nous nous rendons compte nous les adultes que dans notre métier, nous avons une mémoire phénoménale mais pas forcément en dehors de celui-ci  Tout simplement parce que nous savons concrètement comment nous allons utiliser l’information.

 A l’école très souvent les enfants apprennent pour pouvoir réussir le jour de l’interrogation et puis après ils oublient. Parce que le projet s’arrête une fois le jour de l’interrogation. Les enfants qui sont instruits en famille ont une mémoire bien plus profonde et les notions sont plus ancrées.

 C’est typiquement français, on remarque que les français peuvent avoir de bons résultats en mathématique mais il suffit que l’on change un tout petit peu la manière de poser les problèmes et ils sont perdus car on leur a appris à répondre en fonction de certains codes, sans comprendre en profondeur. Et c’est souvent différent à l’étranger. 

Est-ce que cela n’est pas problématique que les parents aient le rôle de parents et d’enseignants ? 

Les parents ne doivent pas jouer les enseignants. Ils permettent à leurs enfants d’apprendre mais ce ne sont pas des enseignants. Ce qui est formidable c’est que s’ils le souhaitent, pour creuser une notion, les enfants puissent se tourner vers toutes sortes de gens qui sont spécialistes dans différents domaines. A titre personnel, je ne militerai non pas pour l’instruction en famille ou l’école mais bel et bien pour un mélange des deux.

J’ai vu dans un lycée professionnel, des enfants qui faisaient leur projet et apprenaient seuls en autonomie mais et quand ils  en éprouvaient le besoin ils se tournaient vers l’enseignant. Etre enseignant c’est un vrai métier mais malheureusement 90% d’entre eux sont formés dans pour transmettre le contenu pour lequel ils ont choisi de se spécialiser  mais ils n’ont aucune formation en pédagogie. 

Qu’est-ce que vous pensez de cette décision d’Emmanuel Macron d’interdire l’école à la maison ? 

Si réellement il est confirmé que l’IEF est interdit , ce serait extrêmement dommage. Je pense que l’IEF peut être d’une telle richesse. Je ne comprends pas le lien que  le Président  fait avec l’islamisme. Je pense qu’il  a été mal informé. Il ne sait pas qui fait l’IEF et lui-même n’ayant pas d’enfant il n’a pas été exposé à cette dimension là.

 Je ne vois pas le lien entre l’islamisme et l’école. Tous les terroristes sont allés à l’école et ils ont subi du harcèlement, de l’exclusion, de l’échec scolaire et donc ils n’ont pas été en dehors de l’école de la république. L’école de la République n’a pas réussi à les intégrer. 

Certains ont connu l’Aide Sociale à l’Enfance et ont subi des rejets multiples et variés et il n’y a pas eu de continuité d’attachements qui leur permette de se sentir en sécurité et intégrés.

 La véritable lutte contre l’islamisme, c’est d’accompagner la naissance, la première année de vie et vérifier qu’aucun enfant n’ait à subir des ruptures affectives trop graves et que s’il y a rupture il puisse être accompagné et soutenu. Nous avons à faire un travail important pour éradiquer le harcèlement scolaire. Cela me parait beaucoup plus urgent. L’instruction en famille est au contraire un des outils pour lutter contre l’échec scolaire.

Il y a des enfants aujourd’hui qui sont déscolarisés  parce qu’ils ont pris l’école en grippe, ils ont pris toute forme d’ apprentissage en dégoût, et c’est dommage.

Il faut accompagner les familles très tôt pour diminuer les violences conjugales, enrayer la violence contre les enfants faire baisser la pauvreté, agir sur tous ces facteurs aggravants qui sont en première ligne avant l’école.  C’est ce qui me semble le plus important.

https://www.filliozat.net/biographie/

Ambre : « L’humain ne peut pas ne pas apprendre »

Ambre et Pierre sont les heureux parents de quatre enfants. Jade 18 ans,  Kaya 14 ans, Dune 12 ans et Madhi 9 ans. Aujourd’hui, leur vie se partage entre la Loire et le Gers où ils retapent une grande maison dans laquelle ils ont hâte d’emménager. C’est autour d’un café du matin qu’Ambre raconte leur parcours…

Alors qu’Ambre n’était même pas encore née, sa mère a découvert un livre qui allait changer sa vision de l’enfant et de l’éducation : « Libres enfants de Summerhill »  d’ A.S. Neill. (Editions La Découverte «). Dans cet ouvrage, l’auteur  Alexander Sutherland Neill, psychanalyste de formation raconte le fonctionnement de l’école Summerhill, une école autogérée qu’il a fondée en 1921. Dans son établissement, les enfants jouissent d’une liberté totale. Le jeu est la principale activité et les élèves ne sont contraints à aucune assiduité en classe. Seule l’envie d’apprendre compte. 

Pour Alexander Neill, c’est le plus sûr chemin vers l’autonomie et le bonheur d’être. 

Ce livre est sorti en 1970, en pleine période contestataire : mai 68 en France, Woodstock et les hippies aux USA. L’ouvrage est un succès, il devient un phénomène de société et une référence pour ceux qui souhaitaient élever leurs enfants autrement. 

Pour la maman d’Ambre, ce livre fut à l’origine d’une prise de conscience profonde. Elle y a découvert toute la liberté de grandir sereinement  qu’elle voulait offrir à sa fille. « Si  à l’époque ma mère avait su que l’instruction en famille était autorisée en France, c’est évident que c’est l’option qu’elle aurait choisie. » 

Mais dans les années 70, Internet n’existait pas, l’information selon laquelle l’école n’est pas obligatoire était encore confidentielle.
Alors la maman d’Ambre fait le choix de garder à ses côtés sa fille aussi longtemps que la loi le lui permettait. Elle ne l’inscrit qu’en dernière année de maternelle. En parallèle, elle commence à suivre des formations pour devenir assistante en classe. Le meilleur moyen pour elle de rester au plus près de sa fille malgré la scolarisation. Au fil des rentrées scolaires, la petite Ambre s’avère être une excellente élève. Elle est à l’aise avec les autres enfants et bien souvent première de la classe.

Et puis devenue adolescente, Ambre a découvert le plaisir des fêtes entre copains. L’école ne lui semblait plus si nécessaire et en Première, elle a décidé d’arrêter le lycée. Très curieuse, Ambre a toujours lu énormément. Une passion pour la lecture qui a commencé très tôt puisqu’à 9 ans, elle dévorait déjà L’Étranger de Camus. Dans cette frénésie de lecture et de curiosité, elle fait ainsi connaissance avec  les écrits de Maria Montessori et de Célestin Freinet. « J’ai été très touchée par leur vision d’une éducation en autonomie. Du coup, quand j’ai accouché de Jade ma première fille, je savais déjà que je l’inscrirais dans une école Montessori »

Au moment de passe le cap de l’inscription , Ambre et son mari Pierre sont arrêtés par le coup de l’inscription qui était bien trop élevé pour le jeune ménagr. Mais il en fallait plus pour décourager la jeune maman qui se met alors en quête sur internet de solutions pour créer elle-même son matériel pédagogique. Et surprise, elle découvre que non seulement certaines mamans fabriquent elles-mêmes leur matériel mais surtout qu’elles dispensent l’enseignement directement à la maison à leurs enfants. Ambre est profondément séduite par le principe mais elle découvre vite que l’idée ne fait pas l’unanimité

Ainsi sa meilleure amie d’Ambre qui, travaille alors au sein de l’Education Nationale tente de la dissuader « Elle a tout fait pour me dissuader de faire l’école à ma fille. Elle défendait l’école laïque, gratuite et accessible à tous.  Pour elle, ne pas scolariser un enfant, c’était le sortir d’un système qui lui permettrait un jour de devenir un citoyen éclairé. Selon elle, j’allais ôter toute chance à ma fille d’apprendre le « vivre ensemble ». C’était évident, j’allais la priver d’une socialisation fondamentale. A l’écouter, j’ai vraiment eu l’impression qu’en sortant Jade du système scolaire, j’allais gâcher sa vie. Et à l’époque, je dois avouer que ses arguments m’ont touchée. »

Jade entre donc en maternelle dans l’école de son village dès la petite section. Au cours de sa deuxième grossesse Ambre découvre à son tour un livre qui va bousculer ce qu’elle croyait ancré :  « Elever son enfant autrement ».

« Ce livre s’intéressait à la parentalité alternative. Ce que l’on appelle aujourd’hui la parentalité bienveillante. Il y était question d’allaitement, de couches lavables, du cododo… Tant de sujets qui m’ont frappée en plein cœur et qui m’ont permis de réaliser que c’était exactement ce que je voulais pour mon bébé à naitre.
Et puis bien sûr, dans ce livre, il y avait aussi un chapitre sur l’école à la maison qui m’a confirmé que légalement c’était possible et surtout réalisable. J’ai compris à ce moment-là que non seulement j’en avais vraiment envie mais en plus j’étais vraiment prête… et j’ai donc décidé de foncer… »

A cette période, Jade est en moyenne section au sein d’une classe multi-niveaux qui va de la Très petite Section au CP. Elle aime l’école mais se montre très frustrée car elle veut apprendre à lire. Cependant la maitresse ne répond pas à ses demandes incessantes. « Je suis allée la rencontre de l’enseignante pour lui demander si elle aurait par chance des fiches, des aides qui permettrait à Jade de progresser en lecture.  Elle m’a alors répondu qu’il n’y avait aucune urgence d’apprendre à lire et que l’on verrait cela plus tard. Je voyais Jade tellement en demande qu’à ce moment-là ce fut un déclic pour la déscolariser. J’ai donc décidé de la retirer de l’école en cours de moyenne section. Avec mon aide, elle a appris à lire en trois mois, elle avait 5 ans. »

La première année d’école à la maison s’est bien déroulée. Même si aujourd’hui, avec le recul Ambre l’analyse avec un regard plus nuancé.  « A l’époque, je dois reconnaitre que j’avais énormément d’attentes. J’avais installé toute une salle Montessori et chaque fois qu’elle ne ressentait pas l’envie de travailler, je me sentais très frustrée. Avec le recul, je me rends compte que j’étais encore trop contrôlante et cela engendrait du coup pas mal de frictions sur les apprentissages. Mais Jade était très curieuse et qu’elle apprenait très vite. » 

Peu après la naissance de Kaya, Ambre attend à nouveau un enfant Au quatrième mois de grossesse, elle connait des complications. Le médecin lui interdit de porter ses enfants et lui recommande de se reposer le plus possible. Pour Ambre, l’école semble alors la seule solution . Kaya est inscrite en Toute petite section et Jade en CP. « Je n’oublierai jamais qu’à la fin de l’année, sur le bulletin de Jade la maitresse avait écrit « Elève très vive, très intelligente se débrouille très bien en lecture et orthographe malgré une déscolarisation d’un an. » J’ai trouvé cela d’autant plus rude que Jade était arrivée en CP en sachant déjà lire… ».


A la fin de cette année-là, la famille déménage dans un autre village et soudain l’école semble une belle opportunité de rencontrer des amis tant pour les parents que pour les enfants. Mais très vite pour Ambre, l’année de CE1 de Jade s’avère particulièrement décevante. « Si jusque-là, elle avait toujours eu des institutrices très à l’écoute, avec de belles initiatives, offrant toutes sortes de chouettes activités, cette année-là, cela a été une autre histoire. Là, il n’était pas question de faire autre chose que de l’école pure et dure…

Aucun spectacle, zéro projet pédagogique. Que du travail. Alors comme je faisais partie de l’association des parents d’élèves, j’en ai profité… J’ai proposé de faire un potager, d’organiser des sorties, d’aller voir des films… Mais à chaque fois, je m’entendais dire que c’était compliqué…Cela n’était jamais possible… » 
Ambre prend alors rendez-vous avec le directeur. S’en suivent une heure trente de discussion intense. Non le directeur ne peut évidemment pas l’empêcher de déscolariser ses enfants mais oui il pense que c’est une erreur. Non il ne peut absolument pas proposer des activités plus ludiques au sein de son école. Devant l’étonnement d’Ambre, la sentence est alors sans appel. « Le directeur m’a dit cette phrase qui résonne encore dans ma tête  «Tout ce qu’il y a à côté je n’ai pas le temps.  Je suis là pour transmettre quitte à ce que ça saigne un peu. » » 

Pour Ambre, la rupture est consommée… Un nouveau chapitre commence.

«J’ai parlé à Jade de l’Ecole à la maison comme d’une aventure en lui disant que si au bout d’un an ou même avant, cela ne lui convenait pas, elle pourrait retourner à l’école. En fait, elle n’y est plus jamais retournée et aucun de mes enfants n’y est jamais allé non plus.

Au début, je dois reconnaître que je n’étais pas totalement sûre de moi. J’ai donc décidé de m’appuyer sur des cours par correspondance pour l’accompagner. Cela venait de Belgique et cela s’appelait Enseignement à distance…Mais au final au bout de trois mois Jade a trouvé cela ennuyeux. Je continuais en parallèle la pédagogie Montessori. Et puis, nous nous sommes intéressées à la pédagogie Steiner. L’idée est, entre autres d’illustrer tout ce que l’on apprend pour bien entériner le savoir et il y a en parallèle tout un travail à l’oral. Cette méthode m’a passionnée pendant une année et puis après, je dois avouer, que j’étais un peu agacée par toutes les fêtes païennes qui y sont rattachées. »

Peu à peu, Ambre explore les différentes méthodes possibles. Comme une cheffe en cuisine, elle suit son inspiration pour trouver la bonne recette. Elle utilise certains éléments de Montessori, garde certains de Steiner et choisit d’autres principes de Reggio ( pédagogie italienne peu connue en France basée sur l’inventivité et la créativité des enfants et les poussant dans leur exploration autonome NDLR).. En parallèle, elle y rajoute également aussi des apprentissages formels issus des cours à distance.

 « J’organisais souvent des ateliers. Ainsi, le matin, les enfants se levaient et découvraient une thématique. Si on travaillait sur les dinosaures, dans la pièce à vivre il y avait mille choses à explorer : des cartes en trois parties issues de la pédagogie Montessori, toutes sortes de livres documentaires, des maquettes à monter, des dinosaures en pâtes à sel que j’avais cachés dans des bacs de sable qu’ils découvraient à l’aide d’un pinceau comme des archéologues. Je créais toutes sortes de jeux.

J’avais également fabriqué une table lumineuse issue de la pédagogie Reggio sur laquelle on glisse des radios, des feuilles etc.. Je m’amusais à leur proposer ces ateliers « découvertes » tous les deux ou trois jours. Cela pouvait être sur un pays, sur les pyramides et leur construction, sur les plantes. »

Ces apprentissages sont complétés par de nombreuses sorties pédagogiques. Et puis les années passant, Ambre a commencé à proposer aux enfants des apprentissages plus formels avec des cahiers d’exercices mais sans jamais perdre de vue les applications plus concrètes de l’instruction. 

« Par exemple si on travaillait sur le Moyen Age, on ne se contentait pas du cahier… Je sortais alors tous les livres de ma bibliothèque en lien avec le sujet, que cela soit pour enfant ou non. Nous allions visiter des châteaux, des parcs à thèmes… C’était important de donner vie à nos découvertes. Et j’ai remarqué que plus le temps avançait et plus ils se montraient autonomes dans leurs apprentissages. 

Alors nous avons naturellement glissé vers le unschooling (Le unschooling consiste à favoriser l’apprentissage autonome en fonction des envies et des centres d’intérêt de l’enfant en dehors de tout programme scolaire. L’adulte n’imposant aucune méthode d’apprentissage formelle NDLR) et les apprentissages informels et autogérés. Il suffisait de parler d’une thématique pour voir si cela les intéressait ou pas. Ensuite, je cherchais des supports que je leur proposais mais je ne les obligeais plus. Je ne les forçais plus à suivre un programme. 

A partir du moment où ils maitrisaient les quatre opérations et la lecture… le reste était en fonction de leurs goûts, de leurs envies et leurs besoins. »

En avançant sur les divers chemins de la pédagogie, Ambre s’est naturellement rapprochée de la philosophie des Libres enfants de Summerhill visant à faire confiance aux envies et aux besoins de l’enfant. 

« A force de m’intéresser à la pédagogie sous toutes ses formes, je me suis finalement rendue compte qu’une fois que l’on enlève l’essentiel à savoir compter, lire et écrire, à bien regarder le programme scolaire, ce n’est ni plus ni moins que de la culture générale.

La géographie de notre pays, la pollinisation des fleurs, ce ne sont pas forcément des apprentissages nécessaires. Nous pouvons être passionnés par une période d’Histoire et pas une autre… C’est assez propre à chacun finalement…

En me documentant sur le unschooling et les apprentissages auto-gérés, j’ai réalisé qu’il me semblait plus important d’apprendre ce qui nous plaisait et ce qui nous faisait vibrer que d’ingurgiter toutes sortes d’apprentissages simplement parce que cela fait partie d’un programme. »

Soucieuse de les accompagner en âme et conscience, Ambre s’est énormément documentée sur le fonctionnement du cerveau et sur les méthodes d’apprentissage en général. Elle a ainsi acquis des connaissances solides sur le sujet tout en nourrissant sa réflexion en échangeant avec d’autres mamans en IEF.

« Les neurosciences nous ont démontré que l’on apprend plus facilement et avec plus de plaisir ce que l’on a envie d’apprendre avec une volonté intrinsèque 

Si on nous force, bien sûr nous pourrons apprendre par cœur pour un examen. Nous avons tous appris des poésies, la guerre de 39-45, des cours de Biologie mais finalement 20 ans après, on se rend compte que l’on a tout oublié ou que cela ne nous intéresse pas car nous n’en avons pas l’utilité…

Si l’on ne connait pas les égalités remarquables en mathématiques, il sera tout à fait possible de vivre toute une existence sans que cela soit un problème. Mais si d’un coup, on en a besoin professionnellement ou pour passer un diplôme, notre cerveau sera alors assez mature et notre volonté assez forte pour l’apprendre aisément et rapidement. 

Et c’est prouvé, que lorsqu’on a besoin d’une connaissance, on apprend beaucoup plus vite…L’humain ne peut pas ne pas apprendre. »

Mais déscolariser ses enfants n’est pas pour autant une démarche facile et légère. Car il faut s’occuper d’eux tout en continuant à gérer l’intendance du quotidien. Une charge qui bien souvent incombe aux femmes car quitte à se passer d’un salaire autant que cela soit celui qui est le moins élevé. Pour ces mères  » en charge », une allocation femme au foyer serait bienvenue.

Paradoxalement, les familles en IEF n’ont pas non plus droit à l’allocation rentrée scolaire alors que par essence ils sont amenés à dépenser plus qu’une famille dont les enfants vont à l’école. Les livres, le matériel, les sorties, le budget est conséquent et il faut donc accepter de faire des sacrifices sur d’autres postes de dépense.

« Heureusement, les côtés positifs aujourd’hui pour l’Instruction en famille, c’est qu’il est maintenant très facile de trouver tout ce dont on a besoin en termes de supports pédagogiques sur internet. Beaucoup de professeurs mettent toutes sortes de supports gratuits en ligne.  A cela s’ajoutent tous les parents qui ont des blogs et qui mettent des idées à disposition…

A partir du moment où l’on a internet et une imprimante, on peut tout trouver… Je dirais même que l’imprimante et la plastifieuse peuvent être les meilleures amies d’une maman qui fait l’école à la maison. » 

Le mari d’Ambre restaure des caravanes anciennes. Il a ainsi aménagé un bus qui permet depuis des années à toute la famille de voyager ensemble. Un moyen peu onéreux de partir à la rencontre des copains un peu partout en France. 

L’école à la maison c’est une liberté immense mais c’est aussiaccepter d’être avec ses enfants tous les jours de la semaine, 24 heures sur 24. Cela impose de bien se connaitre pour savoir respecter l’espace de chacun.

« Au fil des années, ma parentalité a évolué. A partir de la naissance de mon 2ème enfant, je me suis dirigée vers l’éducation bienveillante, et je me suis auto-formée à cette approche éducative. Mon comportement envers mes enfants a évolué et naturellement les problèmes du quotidien ont disparu.

J’ai arrêté d’avoir des attentes démesurées. J’ai appris le lâcher-prise et je me suis rendue compte que si le déjeuner n’était pas prêt à midi et si le ménage n’était pas fait à 13 heures et bien finalement, ce n’était pas si grave…

Je me suis rendue compte que je m’étais mise une pression invraisemblable qui engendrait du stress dans la maison… Et inévitablement, je m’énervais contre les enfants… Nous avons dû apprendre à vivre ensemble et moi j’ai dû apprendre à me détendre sur mes objectifs… »

Au fil des années, à force de regarder vivre ses enfants, Ambre a naturellement appris à les considérer comme des personnes à part entière. Exactement au même titre que les adultes.

« Personnellement, je suis dans une démarche de respect de l’enfant et de non-âgisme. L’âgisme c’est le fait de traiter quelqu’un différemment parce qu’il a un certain âge. Comme les personnes âgées qui ont toute leur tête mais à qui on parle comme à des enfants. Dans la même lignée, il y a l’adultisme, à savoir, imposer des règles, des idées, des principes aux enfants sous prétexte que l’on saurait mieux qu’eux parce que l’on est des adultes. Bien sûr nous avons plus d’expérience qu’eux mais cela ne leur enlève ni leur autonomie, ni leur liberté de penser et encore moins leurs sensations. Typiquement, il faut arrêter d’imposer à un enfant de porter un pull parce qu’on trouve qu’il fait froid… Surtout quand on est assis sur un banc du parc sans bouger alors que lui court partout…Il sait s’il en a besoin ou non… »

Aujourd’hui, Ambre se définit comme une « slasheuse », à savoir qu’elle s’épanouit grâce à ses vies multiples. Son activité principale consiste à animer des ateliers et faire des conférences sur la parentalité et la communication pour aider les parents à éduquer et accompagner leurs enfants de manière bienveillante. 

« Je leur apprend à élever leurs enfants sans punition et sans cri, sans fessée, sans violence éducative ordinaire. J’ai la preuve que par l’éducation donnée à mes enfants il est tout à fait possible de les élever sans leur crier dessus, sans les punir, sans taper et sans en faire des enfants tyrans…Pour beaucoup l’éducation bienveillante est synonyme de laxisme, d’enfant-roi  voire de tyran… Alors que l’éducation bienveillante a pour vocation de permettre aux  enfants d’être libres et autonomes mais aussi  tout simplement respectueux des autres…

On nous prédisait des enfants-rois, des asociaux, des incultes, mais aujourd’hui nous avons des enfants épanouis, heureux, curieux et bienveillants et nous en sommes fiers et heureux. »

Si Ambre est naturellement dans une démarche d’écoute des envies de ses enfants pour elle, il est important de ne jamais les faire passer avant ses besoins à elle.  Les besoins de ses enfants sont tout simplement au même niveau que les siens… Une philosophie, un état d’esprit qu’elle partage avec Pierre son mari.

« Depuis le début je dis « je » mais tout cela est en accord avec mon conjoint. C’est un élan coopératif. Nous avons choisi ensemble l’éducation que nous donnons à nos enfants. Clairement il a été plus important pour nous que nos enfants fassent des activités qu’ils aiment quitte à ne pas être très riches. Jamais nous avons eu l’idée de leur dire passe ton Bac d’abord et après on verra. Nous leur avons toujours dit de faire ce qui les intéressait et s’ils avaient envie de passer leur Bac qu’ils le fassent…Je crois profondément que les gens passionnés trouvent autant de travail que les gens diplômés. »

Comme tous les unschoolers, le Bac n’est pas une fin en soi mais il est considéré comme un outil éventuel pour  accéder à la vie que l’on veut mener.

« J’ai lu Bourdieu et je sais ce que c’est que le déterminisme social.  Je ne dis pas à mes enfants que si demain ils veulent être avocat, cela sera forcément facile. C’est toujours plus facile d’être médecin quand on vient d’une famille de médecins ou avocat quand on vient d’une famille d’avocats mais je pars du principe qu’en s’intéressant au monde, en étant passionné on trouvera sa place, une place où l’on se sentira bien. Sachant que rien n’est définitif. »

Aujourd’hui les enfants d’Ambre et de Pierre ont chacun leurs envies et leurs passions. Et peu à peu, leur futur se dessine. Jade a appris en autodidacte à utiliser Photoshop.  Elle s’intéresse à la retouche numérique, elle fait ce que l’on appelle aujourd’hui de la photo-manipulation. Elle écrit des nouvelles et publie régulièrement sur Wattpad, une plateforme sociale d’histoires narratives. Son rêve serait d’être graphiste et de travailler dans une maison d’éditions pour faire des couvertures de livres. 

Kaya se cherche encore mais elle aime au quotidien concevoir des cosplay, créer des personnages à partir de maquillage et de costumes. C’est une jeune fille tournée vers le domaine artistique : la danse et le chant. Elle aime également écrire.

Dune a, pour sa part, une vraie passion pour le montage. Elle réalise des vidéos à partir de personnage qu’elle crée elle-même. Quant à lui Madhi, le dernier de la fratrie, aimerait, devenir gamer professionnel. 

Attentive, naturellement à l’écoute,  Ambre reste assez lucide sur leur niveau d’apprentissage.

« Je pense que nos enfants savent énormément de choses que bien des enfants scolarisés de leur âge ne savent pas. 

Je pense, également, qu’il y a énormément de choses qu’ils ne savent pas et que des enfants scolarisés connaissent.

Quand on choisit le unschooling, il y a forcément un certain lâcher-prise à avoir.

Par exemple, Kaya qui a 14 ans devrait passer son Brevet cette année. Si je l inscrivais demain, elle ne serait pas capable de le passer parce qu’elle n’a pas étudié certaines périodes d’Histoire ou certaines problématiques de Maths.

Elle ne sait pas non plus faire une dissertation mais par contre elle est capable d’écrire un roman. 

Si elle écrit français, si elle parle français correctement et qu’elle sait monter un récit, est-ce qu’il y a véritablement besoin de savoir rédiger une dissertation ?

Sachant également qu’elle a un esprit critique et qu’elle sait argumenter un sujet qui lui tient à cœur, cela me semble être de véritables atouts. Bien sûr, je suis toujours dans l’inquiétude par rapport à leur évolution.

Peut-être, même un peu plus qu’un parent qui met ses enfants à l’école, mais avec la crise sanitaire, avec cette année 2020, avec l’évolution de la société, qui ne s’inquièterait pas ? »

Bernadette Nozarian « L’école à la maison c’est un choix de cohérence » 

Bernadette Nozarian a une formation pluridisciplinaire en sciences humaines. Elle est spécialiste de l’instruction hors école et mère de deux jeunes adultes éduquées hors école. Son livre « Apprendre sans aller à l’école » aux Editions Nathan est une référence dans le domaine.

Qu’est ce que l’école à la maison ?

Au niveau des appellations, je n’aime pas le terme d’ « école à la maison » ni même « instruction en famille ». « Ecole à la maison » cela n’a de sens que pour ceux qui transposent l’école à la maison, mais pour les Unschoolers, c’est inadapté car ce qu’ils vivent est tout sauf l’école à la maison. Je n’aime pas non plus « instruction en famille » car cela donne l’idée que l’on reste enfermé dans la famille alors qu’au contraire c’est une vie tellement ouverte sur le monde. C’est d’ailleurs une ouverture si extraordinaire que les familles ont plutôt envie de plaindre les enfants qui sont à l’école, enfermés dans une salle de classe avec seulement d’autres enfants du même âge et du même quartier.  

L’école à la maison, ce n’est pas une assurance tout risque. Ce n’est pas, par exemple, un recours parce que nous n’apprécions pas l’institutrice de notre enfant. Si cette institutrice pose problème il est préférable de s’expliquer avec elle, de rencontrer le chef d’établissement, l’inspecteur, régler la situation. 

L’instruction en famille n’est pas « contre » quelque chose. C’est un choix POUR. Pour construire une vie différente, basée sur des valeurs revendiquées autour du respect de l’individualité de chaque membre de la famille. 

C’est un mode de vie et non une méthode pédagogique, un mode de vie cohérent, réfléchi et assumé et différent selon les familles. Il est également choisi pour la liberté. Lorsqu’une famille s’engage sur ce chemin de vie, tous ses repères sont bousculés : professionnels, financiers et donc de consommation. Le rapport au temps, la symbolique de réussite sociale changent. L’idée « naturelle » de domination des adultes sur les enfants évolue. C’est une remise en question totale et permanente. C’est tout sauf quelque chose de calme et tranquille. Il faut être prêts à être chamboulé

Quel serait l’intitulé adapté ?

Je ne pense pas qu’il en existe un. Depuis quelques années, IEF – Instruction En Famille – est très usité, mais nous les anciens, nous utilisons encore « non sco », pour « non scolarisé, non scolarisant », ce qui n’est pas idéal non plus car cela laisserait supposer que l’école est LA norme. Mais spontanément c’est ce mot que j’utilise. Cela étant, la formulation que j’emploie aussi est « familles s’instruisant hors école » même si c’est un peu long. Bien que là encore, le mot « école » semble instituer une norme. Et je dis bien « famille » et non pas « enfant » car ce n’est pas seulement l’enfant qui apprend. Les parents grandissent énormément dans ce mode de vie. 

Quelle est la différence selon vous entre l’école classique et les familles s’instruisant hors école ?

Dans l’école classique, l’enfant n’existe plus en tant que personnalité individuelle, il est un élève. Un élève soumis à un certain nombre d’obligations : celle de venir quotidiennement à l’école, puisque généralement, personne ne lui a dit que l’école n’est pas obligatoire. Il est censé être le seul à apprendre, tel un récipient vide à remplir face à des adultes sachants. Ce qu’il doit apprendre lui est imposé par un cadre sur lequel il n’a aucune prise : programme, calendrier scolaire, emploi du temps, professeurs, rythme, notation, évaluations. S’il n’a pas bien compris une notion, il écope d’une étiquette dépréciative et, au mieux, doit suivre un module de soutien, sinon, il fait ce qu’il peut en queue de peloton.  L’enseignant doit passer à la leçon suivante et avancer sur le programme quoiqu’il arrive. C’est toujours le modèle prussien, dont parle si bien Salman Khan, qui a inventé quelque chose de tout à fait différent : la Khan Academy, (1)qui permet à chacun de prendre le temps nécessaire pour assimiler une connaissance avant de passer à la suivante.  Alors que dans la non-sco, finalement, l’enfant, et non l’élève peut être libre de tout : de son temps, de ce qu’il veut apprendre, avec qui, de quelle manière, quand, dans quel endroit, sans être noté ni évalué. 

Le bémol est qu’au fil des années, cette liberté est de plus en plus rognée par les lois successives. De plus, cette manière d’apprendre, tellement éloignée de ce qui se fait à l’école classique illustre le non sens que représente le contrôle de l’instruction, tel que prévu par le code de l’éducation. En effet, l’Education Nationale est juge et partie et la législation impose de plus en plus aux familles de suivre la progression nationale. C’est parfois mission quasi impossible pour les inspecteurs d’académie et les conseillers pédagogiques qui effectuent ces contrôles. Cette situation génère rancoeur, tensions, procès, départs à l’étranger… bref, dans de trop nombreux cas, il s’avère que la soi-disant confiance, dont le terme figure dans l’intitulé de la dernière loi en date du ministère de l’Education Nationale, est totalement inexistante. 

(1) la Khan est une organisation à but non lucratif ayant pour mission de fournir un enseignement gratuit et de qualité, pour tout le monde, partout. Les élèves pratiquent à leur propre rythme, en comblant d’abord leurs lacunes puis en accélérant leur apprentissage. Créés par des experts, les contenus de Khan Academy proposent des cours et des exercices fiables couvrant les mathématiques, les sciences et bien plus encore. Toujours gratuit pour les apprenants et les enseignants. (source https://fr.khanacademy.org)  

On dit souvent qu’il y a autant d’instructions que de familles, pourquoi  ?

En fait il y autant d’IEF que d’enfants. Car dans une famille, il peut y avoir un enfant qui va à l’école et un autre qui n’y va pas. Un enfant qui pendant une période va être hors école et pendant une autre période à l’école. Il y a aussi parfois des allers-retours. Alors bien sûr pas tous les jours, ce n’est pas l’enfant roi. 

Ces enfants savent que l’école existe, que c’est une possibilité, qu’ils ont le droit de ne pas y aller. Et que si ils y vont mais que leur scolarisation se passe mal, pour toutes sortes de raisons, ils pourront arrêter. Ils ont leur libre arbitre et c’est quand même la base du citoyen éclairé. 

Qu’est-ce que cela apporte à un enfant d’avoir le choix ? 

Cela lui permet d’exercer son esprit critique et c’est énorme. Je parle de la famille idéalement constituée qui va discuter chaque année avec ses enfants, de ce qu’ils veulent faire l’année suivante. Quand vous demandez à vos enfants d’exprimer leur souhait, en discutant en famille des implications de ce choix sur chacun des membres, c’est une formidable manière de les responsabiliser tout simplement.

A votre avis quand on quitte l’école, est-ce qu’il y a des choses que l’on perd ?

Pour certaines familles qui en ont besoin, elles perdent un cadre. Nous avons bien vu après le confinement du printemps 2020, des familles qui ont décidé de ne pas remettre leurs enfants à l’école mais qui étaient persuadées qu’elles allaient continuer à recevoir les devoirs, le programme… A partir du moment où une famille fait le choix d’arrêter la scolarisation,  elle doit se débrouiller. Elle perd ce cadre, le programme, la progression, les notes… Petit à petit ces familles verront que ce n’est pas si important. Elles auront d’autres références…

Et puis en quittant l’école, les enfants perdent les amis tout simplement. Ils peuvent espérer les voir après les cours mais ce n’est pas si simple car une fois que le copain scolarisé a terminé sa journée de cours et ses devoirs, il ne reste plus beaucoup de temps. 

Il y a une grande différence entre un enfant qui n’est jamais allé à l’école et un enfant qui devient non sco après une période de scolarisation. Un enfant qui a été à l’école auparavant a déjà pris des habitudes de fonctionnement, il est habitué à un cadre. Il a été formaté d’une certaine façon. Ce serait comparable au fait de parler une langue étrangère.On ne pense pas tout à fait de la même manière lorsque l’on s’exprime en anglais ou en japonais. Tout simplement parce que chaque langue a sa propre logique qui influe notre mode de réflexion

Un enfant jamais scolarisé a d’emblée d’autres repères. Il est d’usage de dire qu’il faut un mois par année d’âge de scolarisation pour que l’enfant scolarisé fasse son sevrage. Et les familles parfois s’affolent parce que pendant des mois, les enfants ne veulent plus rien faire. Ce temps d’adaptation semble leur être nécessaire pour passer à autre chose, à une démarche d’apprentissage autonome.

Quel est le gain majeur d’une vie hors système scolaire ?

La liberté. L’absence de formatage. Les enfants ont confiance en eux. Ils ne se prennent pas pour  des Mozart mais ils ont en revanche une idée assez claire de leur réelle valeur. Alors que les enfants scolarisés se sentent souvent résumés aux notes et aux appréciations des bulletins scolaires

Et ils ont toujours ce plafond de verre que leur mettent les professeurs. Même les professeurs bien intentionnés sont pris dans un système. Je pense à une famille au sein de laquelle une jeune fille a fréquenté quelques mois un lycée en seconde. Cette année-là quand elle avait dit qu’elle voulait passer un bac scientifique, il lui a été répondu qu’elle n’y arriverait jamais. L’année suivante, elle a intégré le LAP – Lycée Autogéré de Paris – en première.. Elle a travaillé dur et a réussi son bac S. Ensuite, elle a étudié quelques mois à l’Université puis a préparé le concours d’entrée à l’Ecole d’Infirmière. Aujourd’hui, c’est une infirmière épanouie aux urgences pédiatriques d’un hôpital. Sa chance, c’est la confiance en elle qu’elle avait accumulée pendant toutes ses années de non sco, cette confiance qui n’a pas été ébranlée par les jugements des professeurs. Elle a aussi su se donner les moyens et a été accompagnée par sa famille. 

Est-ce nécessaire à un moment de réintégrer le système scolaire ?

Réintégrer le système scolaire est possible, mais pas obligatoire. Pour certains, c’est vrai que c’est parfois plus simple pour passer le bac. Toujours dans cette même famille non sco, l’un des enfants a voulu passer le bac en candidat libre et il l’a raté alors qu’il savait qu’il avait le niveau et les bonnes réponses. Il a récupéré ses copies et il a compris que c’était un problème de présentation du travail, de méthode. Il a alors décidé d’intégrer le lycée pour apprendre à formater son travail à la demande. Et non seulement du coup, il a obtenu ce bac mais aujourd’hui il termine ses études de médecine.

Leur maman était professeur en Conservatoire et elle me disait qu’elle avait remarqué combien l’apprentissage de la musique chez les sco et les non sco est complètement différent. Les enfants scolarisés travaillent le morceau imposé et quand ils rencontrent une difficulté, ils ne vont pas au-delà, tandis que les non sco, non seulement ils ont plus de temps mais quand ils ne comprennent pas quelque chose, ils cherchent par eux-mêmes, par d’autres moyens et ils finissent par avancer. D’ailleurs, un certain nombre d’enfants non sco deviennent des musiciens de haut niveau. Il est vrai qu’ils ont le temps de travailler leur instrument et tous les autres cours du Conservatoire. 

A l’école, les enfants sont sur des rails, sur une autoroute. Il est important que ces enfants – et leurs parents – comprennent qu’il existe aussi tout un tas de petits chemins de traverses. Qu’ils ont le droit, s’ils le souhaitent, de s’y engager, sans avoir peur. Et de se faire mutuellement confiance.   

L’IEF est aujourd’hui une réponse à la problématique du harcèlement ?

Certaines familles déscolarisent leur enfant parce qu’il est en souffrance à l’école, que ce soit pour cause de violence, de harcèlement, de phobie… sans compter tous les dys, dyslexique, dyspraxique, les HP, les TDA/H etc…tous ces enfants qui peinent à trouver leur place à l’école. Parfois, ce sont même les enseignants qui ont l’honnêteté de dire aux parents « gardez-le parce que je ne peux rien faire de plus pour vous et pour lui »

Dans ces cas-là, l’IEF devient une solution d’urgence et nous assistons à deux cas de figures. Des familles cherchent à guérir l’enfant pour retrouver une solution scolaire. Des familles découvrent une vie tellement différente que même si l’enfant va mieux et serait en état de retourner à l’école il n’en est plus question car elles ont évolué vers autre chose. Et ce mode de vie amène d’autres questionnements.

En fait, les gens arrivent à la non sco par tellement de chemins différents.  Parfois avant même d’avoir des enfants, ou à leur naissance ou au moment de l’entrée en maternelle ou en primaire. D’autres y arrivent à l’occasion d’un deuil, d’une maladie, d’un accident. En tout cas, quelque soit le stade de la vie où la famille arrive à la no-sco,, il y a un moment où tout doit être en cohérence. Cela impacte la nourriture, le rapport à la santé, à l’écologie, l’habitat…

Les non sco sont très souvent dans le souci du respect de l’autre. Ce respect mène, par exemple, à la recherche d’une nourriture qui respecte son organisme et qui va être produite en respectant la nature. La grande majorité des familles non sco que je connais, même avec peu d’argent, mangent bio. C’est une évidence pour elles car c’est le respect de l’autre et de la planète. Toujours cette idée de cohérence. 

Les familles non-sco disent volontiers qu’elles peuvent inventer leur vie…

Elles font tomber tellement de barrières. Est-ce que l’adulte c’est celui qui a fini d’apprendre parce qu’il a plus de 16 ans ? Est-ce que l’adulte c’est celui qui a un travail à temps plein dans un bureau du lundi au vendredi ? Est-ce que parce que vous avez un diplôme, votre seul but est de gagner beaucoup d’argent ?  Quel est le sens de la notion de déclassement social ? Je me souviens avoir présenté une communication sur « les papas non sco » lors d’un colloque universitaire en étude de genre. J’avais été surprise de leur polyvalence. Ils avaient tous exercé plusieurs métiers, c’était passionnant. Certains voyagent au bout du monde pour les besoins du travail qu’ils se sont créé. Certaines mamans réinventent complètement leur activité professionnelle. Il y a beaucoup d’entrepreneurs. Il faut dire que cela parait difficile d’être salarié à la Sécurité Sociale ou aux Impôts, ou ailleurs, en étant non sco. Parce qu’un travail à plein temps à l’extérieur de chez soi est difficilement compatible avec ce choix de vie qui accorde une grande place au temps partagé et choisi.

Le rapport au savoir se modifie aussi, ce n’est plus quelque chose qu’il a fallu apprendre, parfois contre son gré, et recracher lors des interrogations, le savoir (re)devient naturel.  

Est-ce que tout le monde peut faire l’IEF ?

Non, car il est fondamental d’en avoir envie. Arno Stern dit dans le film de Clara Bellar(1) « « Nous n’avons jamais sacrifié notre vie à nos enfants. Nous l’avons partagée avec eux. Ce n’est pas la même chose ! »  » Tant que des parents auront l’impression de sacrifier leur carrière, leur budget, leur niveau matériel de vie, ils ne se sentiront pas bien donc ce n’est pas la peine de faire ce choix d’instruction hors école. C’est comme les mères qui allaitent à cause du regard des autres. Si elles ne sont pas à l’aise avec l’allaitement, il vaut mieux qu’elles donnent le biberon. Il faut faire ce que l’on sent au fond de soi, sinon ce ne sera qu’amertume à la maison et personne ne sera heureux.

(1)Être et Devenir est un documentaire français réalisé par Clara Bellar sur l’apprentissage autonome, l’éducation à la maison et la non-scolarisation. Il est sorti en 2014 et a donné lieu à un livre papier et ebook https://www.linstantpresent.eu/product-page/%C3%AAtre-et-devenir-faire-confiance-%C3%A0-l-apprentissage-naturel-des-enfants 

Il faut quand même un bagage culturel ?

Non, ce n’est pas nécessaire. Il faut de l’ouverture d’esprit, de la curiosité. Ce n’est pas la peine d’être bac plus beaucoup. Même si vous avez un doctorat, vous ne préparez pas vos enfants à l’agrégation. J’ai entendu parler d’une étude, que je n’ai pas lue, selon laquelle ce serait  les enfants des parents qui ont le plus faible niveau académique qui réussissent le mieux, car le parent n’écrase pas par sa science. Ils cherchent ensemble. 

Il est à noter qu’il y a beaucoup d’enseignants dans les familles non sco. Peut-être que ce sont ceux qui sont les plus critiques et les plus réalistes sur l’institution scolaire et ne souhaitent pas la reproduire. Peut-être qu’un ouvrier imagine que si son fils va à l’école, il bénéficiera de l’ascenseur social, qu’il évoluera… Mais un professeur connait le système et il a moins d’illusions. Tous les parents professeurs que je connais optent même pour le unschooling, c’est-à-dire qu’ils sont le plus loin possible de l’école. Cette configuration se retrouve aussi dans les équipes pédagogiques de nombreuses écoles alternatives, les écoles démocratiques notamment. Elles comprennent des anciens enseignants de l’Education Nationale et des parents non sco qui partagent leur expérience. Concernant les parents qui ont des métiers à horaires décalés et les parents séparés en garde alternée, l’instruction hors école leur permet de vivre davantage avec leurs enfants grâce à  tellement de souplesse dans l’organisation de la vie de famille.

On en parle peu mais il y a quand même des cas de burn out chez les mères de non sco ?

Un livre a été publié sur ce sujet aux Etats-Unis et il n’est malheureusement pas traduit en français. (2)

Il est important de souligner que les pères aussi semblent sensibles, selon une étude universitaire américaine. (3)

Les parents solo, notamment les mamans, qui sont plus nombreuses, comme dans le reste de la société, restent néanmoins les plus concernées, car elles subissent énormément de pression familiale et institutionnelle. D’où l’importance des relais, de l’entraide, du partage. Les copines, c’est la deuxième famille. D’ailleurs, chez les non sco il y a ce côté grande famille. Une de mes amies s’amusait quand elle me voyait arriver aux activités avec mes enfants, quand elles étaient petites, car, disait-elle, je ne repartais jamais avec le même nombre d’enfants. J’arrivais avec deux, je repartais avec une seule ou avec aucune ou avec d’autres en plus. Avec des amies, j’avais mis en place le système des Play groupes. Nous nous organisions entre nous, l’une recevait tous les enfants pour que chacune puisse avoir une journée dans la semaine où elle pourrait souffler et faire autre chose. Car l’organisation quotidienne repose beaucoup sur un seul parent. 

En fait ce mode de vie est un révélateur des défauts de notre société : peu de travail à temps partiel choisi, y compris pour les hommes, inégalités salariales, qui conduit à ce que ce soit souvent les mères qui arrêtent leur travail car il faut privilégier le salaire le plus élevé. Mais là aussi, l’inventivité est la règle et chaque famille imagine sa vie professionnelle et sa vie familiale en harmonie.  

(2) Lois, Jennifer.  2012. Home Is Where The School Is: The Logic of Homeschooling and the Emotional Labor of Mothering.  New York: New York University Press.

https://chssdepts.wwu.edu/people/loisj

(3) “I’m Sorry You Had a Bad Day, but Tomorrow will be Better”: Stratagems of Interpersonal Emotional Management in Narratives of Fathers in Christian Homeschooling Households

https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/02732173.2014.917577#.VF55uVOa9L4

Quels citoyens sont les enfants non sco une fois adultes ? 

Des citoyens libres, critiques, qui ne se laissent guère manipuler. Ils sont droits dans leurs bottes C’est peut-être ce qui dérange les gouvernements successifs et la raison pour laquelle, depuis 1998, toutes sortes d’accusations infondées pleuvent sur les familles : d’embrigadés dans des sectes à terroristes, en passant par radicalisés et délinquants. 

Le nombre de décrets, projets de loi et circulaires produits durant cette dernière vingtaine d’années à l’encontre d’un si petit nombre de personnes est incroyable. Ne peut-on pas parler d’acharnement politique ? A chaque nouvelle tentative d’interdire la non sco, les accusations changent au point que cela me fait penser à l’adage « quand on veut noyer son chien, on dit qu’il a la rage ». C’est pourtant absurde car il serait tellement plus constructif de vivre en bonne intelligence  et de respecter tous les modes d’apprentissage. D’autant qu’au final, les victimes de ces querelles politiques, ce sont les enfants. 

Quels livres recommanderiez-vous à quelqu’un qui s’intéresse au sujet ?

Si vous souhaitez vous engager dans ce mode de vie, humainement si riche, que ce soit dans l’urgence d’une déscolarisation face à un problème qui affecte votre enfant, après mûre réflexion ou suite à la lecture de mon livre, je vous suggère de commencer par « Libre pour apprendre » de Peter Gray, éditions Actes Sud/Play Bac 2016. Ce livre vous aidera à prendre conscience de l’importance du jeu, mais du jeu libre, sur le développent des enfants, de l’emprise de la scolarisation sur leur temps de vie et des dangers des occupations continuelles et obligées.

Néanmoins, vous pourriez vous inquiéter, craindre de ne pas être à la hauteur sur le plan pédagogique, face aux connaissances que votre enfant doit ingurgiter. Le livre d’Isa Lise, « L’école à la maison, Apprendre autrement », éditions L’instant présent publié en 2016 vous aidera à structurer, par matières, vos périodes d’apprentissage et vous donnera des idées de supports à utiliser. 

Lorsque vous sentirez suffisamment en confiance pour envisager d’introduire davantage de liberté et d’autonomie dans votre démarche, ce sera le bon moment pour lire le bref et dynamisant livre de Pam Larrichia « Libre d’apprendre : cinq idées pour vivre le unschooling dans la joie » éditions Living Joyfully Enterprises publié en 2014  https://livingjoyfully.ca/ 

Là, cerise sur le gâteau, vous savourerez pleinement le temps que vous passerez à réaliser les multiples idées que recèle le très riche livre de Monique Tedeschi, maman non sco spécialiste de la pédagogie Steiner, et auteure d’un magnifique site Chant des fées https://www.chantdesfees.fr/  « La pédagogie Steiner Waldorf à la maison. » sorti aux éditions La Plage en 2018. 

Si finalement, vous constatez que l’instruction hors école, pour quelques raisons que ce soit, ne convient pas à votre famille, mais que vous avez pourtant envie d’une scolarisation différente de ce que vous avez connu, le guide rédigé par Marie-Laure Viaud vous ouvrira des pistes. « Montessori, Freinet, Steiner… une école différente pour mon enfant ? » édition Nathan 2017. Et puis au cas où finalement, la non sco vous enverrait un nouveau clin d’oeil, il vous suffira de garder ce livre en main, car nous nous retrouverons  au dernier chapitre « L’instruction hors école ». Je l’ai écrit pour vous !

François Bégaudeau « Le but de l’école n’a jamais été l’apprentissage, et encore moins l’émancipation. »

Dans le film « Entre les murs » il nous faisait déjà réfléchir au rôle de l’école. Décider ou non de faire l’école à la maison passe aussi par une réflexion approfondie de notre système scolaire. Avec ses forces et ses faiblesses. Une réflexion que cet auteur et réalisateur, fils d’enseignant, mène en profondeur.

-L’instruction relève-t-elle de la sphère privée et familiale ou relève-t-elle de l’état à travers l’école ?

Instruction est un mot que j’utilise peu, pour ma part. Et la distinction entre instruction et éducation me parait au fond assez fumeuse. Tout ça c’est du lexique institutionnel. Si on veut inventer d’autres formes de vie, il faut promouvoir nos propres mots. Emancipation est le mot adéquat. L’institution l’utilise peu. Et pour cause : c’est toujours d’une institution qu’on s’émancipe.

Mais parlons plus modestement d’apprentissage, en dissociant le mot de son usage officiel. L’apprentissage n’est pas, ne devrait pas être l’apanage de l’école. L’apprentissage a une grande variété d’objets : je peux apprendre à faire une tarte, apprendre la conjugaison du passé simple, apprendre les règles de la belote, apprendre que Federer est le recordman des victoires en grand chelem, apprendre que ma voisine d’en face a fait une fausse couche il y a dix ans. Comment est-ce qu’un individu apprend? C’est le point central d’où toute réflexion devrait découler. Historiquement on a fait l’inverse : on a d’abord crée le dispositif de l’école, et ensuite on s’est demandé comment on pourrait faire que des enfants y apprennent quelque chose. Pour réaliser  – je parle des plus lucides- que cette configuration ne permettait pas d’apprendre. 

La question centrale, chacun est à même d’y répondre en s’observant. Ainsi chaque adulte devrait noter au petit bonheur trente choses qu’il sait ou sait faire, et se demander ensuite où il les a apprises. Il verrait que la plupart de ce qu’il sait et sait faire, il l’a appris tout seul. Par « tout seul » j’entends strictement : hors d’un périmètre dévolu à l’apprentissage, c’est à dire hors de l’école. Pour ma part, si je considère trois domaines d’activités qui me sont chers, le cinéma, le rock, le sport, je dois bien constater que tout ce que je sais et sais faire dans ces trois domaines je l’ai appris « tout seul », c’est à dire dans ma vie extra-scolaire. Je l’ai appris essentiellement de mes amis, ou en attrapant les informations au gré de l’existence, ou en allant les chercher par curiosité. Pour la littérature, cela se joue un peu différemment, puisqu’elle est enseignée à l’école, que j’ai fait des études de lettres, que j’ai enseigné cette matière. Mais une chose est sûre : ce n’est pas à l’école que j’ai contracté 1 le gout de lire 2 le désir d’écrire.

Ceci étant posé, on peut commencer à réfléchir à des lieux de stimulation de l’apprentissage. Mais il faut le faire en sachant bien que ces lieux ne sont pas indispensables. On devrait bien plutôt réfléchir à comment offrir à chacun un cadre de vie qui permette cet apprentissage informel.

Quelle était l’ambition de  Jules Ferry quand il a voulu rendre l’école accessible à tous ?

Jules Ferry n’est qu’un nom. Un raccourci commode. Ferry et quelques autres ne sont que des agent individuels d’un fait structurel. Ce fait structurel concerne tous les pays du monde, à telle ou telle période selon leur rythme de développement. Le fait est le suivant : une fois qu’il a basculé dans l’ère industrielle, un pays a besoin de faire accéder une partie de la classe inférieure à un certain niveau de qualification et de compétences. Pour ça, il impose l’école à toute une classe d’âge, et cette masse est triée et reversée dans le marché du travail, selon des critères ajustés à ses besoins. L’école c’est un fait économique.

A cette vocation première et suffisante, qui explique la parfaite coïncidence entre le développement de l’école et l’avènement du capitalisme industriel, il faut ajouter des motivations secondes : encadrer les classes populaires (c’est très explicite dans les premiers textes de Ferry), et instiller dans toutes les âmes le dévouement à l’ordre, et plus spécifiquement à la patrie, surtout en ces temps où on rêve de revanche contre l’Allemagne. C’est d’abord grâce à un méthodique bourrage de crâne scolaire que des millions de paysans sont allés sans trop regimber se faire tuer dans les tranchées Ces finalités effectives sont tartinées de la confiture idéologique qu’on sait : élever chacun en l’instruisant, former des citoyens, et autres fables qui sévissent encore 150 ans plus tard.

Quel est aujourd’hui le rôle de l’école dans notre société ? 

Il faut partir d’un raisonnement simple : pourquoi une société capitaliste, et des gouvernements au service du capital consacrent-ils tant d’argent à l’école?  Pour former des millions de jeunes à un esprit critique qui se retournera contre eux? Soyons un peu sérieux. Si les libéraux valident l’investissement en faveur de l’école -ils sont très offensifs et propositionnels dans ce domaine-, c’est parce qu’elle leur fournit gratuitement (toute la charge en revient aux pouvoirs publique, et donc à la collectivité) de la main-d’oeuvre plus ou moins qualifiée. Les économistes libéraux savent que c’est à l’école que se créent les ressources humaines sur lesquelles s’appuiera l’effort économique. Les écoliers d’aujourd’hui sont les travailleurs de demain ; les apprentissages d’aujourd’hui sont les profits de demain.

On a pensé l’école pour soutenir l’effort économique, et depuis on n’a cessé de la penser et repenser, de la réformer et reconfigurer au gré de l’évolution du marché du travail. Après-guerre, on a eu besoin de fournir en main-d’oeuvre l’industrie des services qui était en plein boom, on a donc chargé l’école de transformer des filles de paysans en secrétaires (c’est le moment « sténo-dactylo »). Et puis comme les taches ouvrières élémentaires étaient prises en charge par des machines, on a du former des ouvriers qualifiés, des techniciens, etc, ce qui a donné lieu à la création de BTS, etc, etc.

Quant à la volonté d’encadrer la jeunesse, elle est toujours là. On peut même dire que la volonté d’encadrer les jeunes issus des classes populaires a connu un regain de vigueur ces dernières décennies. Comme l’école sait qu’elle n’a rien à leur offrir qu’ils puissent convertir en diplômes puis en emplois, il lui reste à accomplir sa fonction minimale de surveillance. On voit d’ailleurs que la formation des enseignants est devenue secondaire, avec la multiplication des postes de vacataires. Puisqu’il ne s’agit que de garder les pauvres, n’importe quel précaire en quête d’emploi fait l’affaire. 

Pour tous les autres élèves, l’école reste un dispositif disciplinaire, mais il s’agit moins d’y apprendre des règles morales ou des valeurs patriotiques – qui cependant se survivent dans les sempiternelles valeurs de la république –  que la discipline elle-même. Qu’est-ce qu’un enfant apprend à coup sûr en dix ans d’école? A se taire, à s’asseoir, à arriver à l’heure, à faire ce qu’on lui demande dans un temps donné. Autant de compétence exigées sur le marché du travail. On dit que l’école est en échec, c’est faux, elle est en pleine réussite. Elle accomplit admirablement sa mission économique.

Est elle adaptée à notre société actuelle ? 

Ma réponse est ci-dessus. Ma réponse est oui, absolument oui. L’école est très exactement ce que notre société a besoin qu’elle soit. 

Après, dans le détail, certains économistes-technocrates se demandent si ses méthodes sont aussi performantes qu’elles pourraient l’être, et en général ils considèrent que non. Ils préconisent donc des ajustements, comme ils l’ont fait à toute époque, comme ils le font directement sur le marché du travail (ce qu’ils appellent des restructurations, des modernisations, etc). L’école doit être, comme le marché du travail, souple, adaptable, agile, etc. Tout ça c’est un problème de management.

Permet-elle de faire de nos enfants des citoyens éclairés ? 

Est-ce qu’on demande à une machine à café de fabriquer des chaussures? Former des citoyens éclairés n’est pas du tout le but de l’école. Ce peut être son objectif déclaré, mais les fumisteries n’engagent que ceux qui les prennent au sérieux. 

Le but réel de l’école c’est l’inverse : former des individus qui bossent sans trop questionner leur boulot, l’organisation générale du travail, et donc l’organisation générale du corps social. Comment l’école pourrait-elle inviter l’élève à remettre en cause l’édifice social dont elle est un mur porteur?

Du reste on peut voir le résultat. Il n’est pas frappant que notre population, composée d’individus passés par l’école pendant au moins 10 ans et parfois 20, soit d’une immense clairvoyance politique. En réalité l’école ne relève en rien de ce qu’on appelle l’éducation populaire, et qui est en fait l’éducation politique. Je peux reprendre mon petit bilan autobiographique : d’où est ce que je tiens ma culture politique? Pas du tout de l’école. Ce n’est pas à l’école que j’ai assimilé les enjeux idéologiques et sociaux de la conflictualité politique. Ce n’est pas à l’école que j’ai compris les rouages de la finance qui pourtant ordonne le monde dans lequel je vis. Ce n’est même pas à l’école que j’ai appris à comprendre la Révolution française, qui pourtant y est enseignée en long et en large. Et bien sur je ne parle pas de mes auteurs fétiches, dont je n’ai entendu parler que dans ma vie informelle. De toute façon l’essentiel n’est pas là : le consternant ce n’est pas qu’on ne lise pas Bakounine ou Rosa Luxemburg à l’école -après tout on ne peut pas tout mettre au programme-, mais qu’on ne développe aucune intelligence politique. L’éducation politique, cela consiste à apprendre à penser politiquement les situations. Ce qu’on ne fait aucunement. Au mieux, on pense moralement les situations – à bas les méchants dictateurs et vive la République. C’est à dire qu’on fait du prêche. Et à la sortie, on ne convainc personne. 95 % des gens passés par l’école en sorte avec les mêmes opinions que leurs parents, ou du moins les opinons auxquelles leur milieu les conditionne. Là encore chacun pourra vérifier dans son propre parcours. Et si jamais il y a bifurcation, on verra que ce n’est quasiment jamais à l’école que ça s’est joué.

Quelle serait selon vous l’école idéale ? Quelles valeurs devraient elle aider à développer ?

L’école idéale c’est peut être une école inexistante. La société sinon idéale du moins plus vivable à laquelle on aimerait tendre est peut-être, comme dit Illitch, un « société sans école ». Au point où nous en sommes d’assimilation de la propagande, il serait déjà très bénéfique que les gens acceptent au moins d’envisager cette perspective et d’y réfléchir, quitte à ne pas la valider.

Une solution de moyen terme serait de concevoir un service public d’éducation, auquel on puisse avoir recours si le besoin et-ou le désir s’en fait ressentir. La clé c’est de supprimer le caractère obligatoire de l’école. On aurait ainsi des structures et des enseignants (le mot devrait être modifié) qui seraient  à disposition des gens. De tous les gens : enfants, retraités, adultes vieux et jeunes. On aurait droit à ce service comme on a droit aux soins. Et ainsi tous ceux qui se trouveraient là y seraient de leur propre gré. Ce qui fera un bien fou au personnel enseignant. Fini les journées à parler à des individus qui préféreraient être ailleurs – tout le malaise enseignant vient de là.

Quel sera le contenu de l’enseignement? Il sera décidé au jour le jour par les parties prenantes, comme cela se fait dans les lycées expérimentaux. En tout cas, il n’y sera pas question de « valeurs » à développer, à transmettre, ou que sais-je. L’éducation doit tendre à l’émancipation : elle n’est pas là pour inculquer quelque morale que ce soit, mais pour vivifier les cerveaux et les coeurs.

Des vies sans école, le film, la suite…

Longtemps, j’ai eu beaucoup d’a priori sur l’école à la maison. J’avais l’impression que c’était un choix qui coupait les ailes des enfants, un choix qui les éloignait de la société, un choix clairement égoïste. 

Car pour moi, l’école, la vraie, à mes yeux était forte et ainsi elle garantissait l’égalité pour tous.

Et puis Program33 m’a invitée à réfléchir à un documentaire pour Infrarouge (France 2) Une aventure qui m’ permis de comprendre que toutes ces idées reçues étaient liées au fait que je n’avais jamais vraiment côtoyé de famille qui pratiquait l’école à la maison.

En enquêtant, j’ai navigué dans de nombreux univers. J’ai découvert des méthodes étonnamment variées mais j’ai surtout fait la connaissance d’enfants libres, épanouis, sûrs d’eux-mêmes et épargnés par les diktats de la société de consommation. J’ai été fascinée par les belles capacités d’adaptation tout terrain qu’ils pouvaient avoir en particulier quand il s’agit, pour certains, de réintégrer le lycée pour décrocher le fameux bac…

De ces enfants qui, dit-on, n’ont pas accès à la socialisation, j’ai surtout été impressionnée par leur capacité à se lier à tous les âges. Contrairement aux enfants scolarisés qui ont rarement des camarades dans les classes au-dessus ou au-dessous, les « non-sco »perçoivent la richesse de toutes les périodes de la vie et loin de tout formatage ils parlent d’égal à égal avec toutes les générations.

J’ai fait le choix de donner la parole à quatre famille très différentes pour qui l’école à la maison est un choix essentiel et  absolument central dans leur vie. J’ai trouvé qu’il était intéressant de donner la parole à des gens qui ont énormément réfléchi à leur choix et pour qui cela marche. 

Pour moi il était essentiel que ces familles ne soient pas en colère contre l’éducation nationale car cela aurait brouiller le message. Il était important qu’elles ne soient pas prosélyte. Ce choix est le leur et elles respectent ceux des autres.

Avant de tourner, nous avons passé du temps ensemble. Il était fondamental de ne plus être des inconnus pour les familles. Que contrairement à trop souvent dans leur quotidien, ces familles ne se sentent pas jugées mais bel et bien écoutées.

A ma grande surprise, au fil de mon travail d’enquête j’ai commencé à percevoir combien ces familles pouvaient m’apprendre sur la mienne. Combien l’écoute des rythmes et des envies de l’enfant pouvait lui transmettre une chose essentielle pour s’épanouir dans la vie : le respect de l’autre. Ainsi en l’accompagnant dans toute sa diversité et son unicité, on apprend instinctivement à l’enfant à faire de même avec son prochain.

Je ne suis pas pour autant devenue une adepte de l’école à la maison. Même si je pourrais l’envisager si un de mes quatre enfants était en souffrance.  Mais réaliser ce film m’a beaucoup fait réfléchir à bien des points de l’éducation que nous donnons à nos enfants. Et je crois pouvoir dire que cela nous a tous fait grandir. Mais un film reste un film et bien souvent les rencontres vont au-delà, s’approfondissent, amènent à d’autres échanges. Voici quelques témoignages complémentaires que j’avais envie de partager.

Des points de vue qui font réfléchir alors même que l’école à la maison sera très bientôt soumise à de nombreuses conditions….

Leonard et Ingy